Whiplash

La sueur et le sang

Damien Chazelle est quasi inconnu en France. Un premier long-métrage inédit chez nous, Guy and Madeline on a Park Bench, puis un court-métrage, galop d’essai pour ce second long éponyme, Whiplash. Et la révélation arrive. Nette, précise, évidente. Auréolé de Grands Prix à Sundance et à Deauville, ce Whiplash version longue emballe. Il raconte en une heure quarante-cinq la fougue et l’élan de la jeunesse, la passion sans compromis, la rigidité et la discipline de l’apprentissage, l’affrontement des idéaux. Il résonne aussi très fort, quand on sait que le cinéaste est un ancien jeune batteur d’orchestre de jazz en conservatoire, et que cette aventure est pétrie d’autobiographie et de vécu.

Andrew Neiman a dix-neuf ans et n’a qu’un but en tête, être l’un des meilleurs batteurs au monde. Remarqué un soir, baguettes en main, par l’éminence noire de son conservatoire de Manhattan, le coriace Terence Fletcher, il est invité à rejoindre la formation dont tous les élèves rêvent. Mais l’intronisation n’est pas de tout repos, et l’influence et la relation au maître deviennent obsédantes, extrêmes, totales. Son père peut bien tenter d’imprimer son autorité et sa vision de la vie. Plus aucune distraction sociale, plus aucun autre son de cloche ne touchent l’apprenti, car il veut mériter sa place et gagner ses galons d’as de la batterie. Quitte à tout risquer, quitte à tout perdre, quitte à tout gagner.

Ingénieuse idée qu’a eue le jeune réalisateur américain de construire ce périple initiatique comme un match de boxe. Andrew et Fletcher s’affrontent sur le ring de leur vie, de la musique, de la performance, de l’excellence. Les coups de maître cachent les coups bas, l’euphorie se mêle à la rage, la grâce à la laideur, le sang à la sueur. La caméra est vive, nerveuse, rapide. Les plans sont larges sur l’orchestre, mais souvent serrés sur les moues, les regards, les gestes. Les mains qui donnent le tempo ou mènent les baguettes. Les mains qui saignent. Les visages qui ruissellent. Les dialogues concrets, directs, incisifs, suivent les pulsions humaines et accompagnent l’enjeu de chaque round, toujours déterminant pour l’avancée d’Andrew dans son match contre son idéal, contre son prof, contre lui-même.

Whiplash a du coffre, par la virtuosité avec laquelle Chazelle filme la musique, l’interprétation, l’instrument, et la course mélodique que personne ne doit faire déraper. Par l’énergie décapante qui se dégage des titres choisis, de l’éponyme Whiplash de Hank Levy à Caravan de Juan Tizol et Duke Ellington. Par la solidité de l’incarnation de deux solistes hors pair. D’un côté, l’espoir, avec le jeune acteur qui monte Miles Teller (Rabbit Hole, The Spectacular Now, Divergente) et sa gueule de garçon d’à côté transcendée par son don total à son personnage de passionné idéaliste. De l’autre, la maîtrise, avec le second rôle tout terrain J.K. Simmons, dont la bonhommie inquiétante comme charismatique trouve enfin une partition en haut de l’affiche, après sa mémorable composition de patron pingre de Peter Parker dans Spider-Man, et sa galerie de portraits bigarrés chez le fidèle Jason Reitman.