Inherent vice

Sous influence

Avec Inherent Vice, son septième film, Paul Thomas Anderson poursuit une filmographie où l’hommage aux aînés est sublimé par une recherche formelle constante. Cette première adaptation de Thomas Pynchon, où Joaquin Phoenix trouve son meilleur rôle, en est une illustration parfaite.

En 1996, le premier film de Paul Thomas Anderson, Hard Eight, représentait le parfait exemple de film indépendant américain des 90’s avec son casting prometteur et son intrigue à rebondissements. En moins de vingt ans et dix œuvres, les choses sont beaucoup plus difficiles à définir. Le cinéaste donne en effet l’impression de naviguer constamment entre l’orgueil et l’humilité. La mise en scène de plus en plus ample et complexe de ses films en fait le prétendant au trône de plus grand cinéaste américain contemporain, tandis que les multiples références à ses glorieux aînés montrent la profonde révérence d’un réalisateur qui n’a peut-être pas encore trouvé sa voie propre. Et c’est bien sûr le chemin qu’il parcourt qui est proprement passionnant.

Ici, avec cette adaptation de Vice caché de Thomas Pynchon, Anderson signe une déclaration d’amour évidente au metteur en scène dont il s’est très souvent réclamé, Robert Altman. De fait, Inherent Vice peut se voir comme une relecture fascinante du film Le Privé, où Joaquin Phoenix aurait remplacé Eliott Gould. Phoenix incarne en effet un détective privé, accro à diverses substances illicites, qui enquête nonchalamment sur la disparition d’une ex-petite amie, venue lui demander de l’aide. En de longues scènes dialoguées, composées comme des tableaux vivants à peine troublés par d’imperceptibles zooms, Anderson rend constamment hommage au polar d’Altman, très librement inspiré de Raymond Chandler.

Pour réussir l’alliage parfait entre relâchement apparent de l’intrigue et maîtrise totale de la mise en scène, il fallait aussi une adéquation totale entre le réalisateur et son interprète principal : là où Robert Altman avait trouvé sa muse parfaite en la personne d’Eliott Gould, Paul Thomas Anderson reproduit l’exploit avec Joaquin Phoenix. Le comédien, qui avait pourtant trouvé de magnifiques terrains d’expression chez James Gray, est tout simplement incroyable dans Inherent Vice. Présent dans toutes les scènes, il est la véritable colonne vertébrale du film. Prouvant encore une fois l’étendue de son registre, il parvient d’une seconde à l’autre à faire passer son personnage de la bouffonnerie à la plus profonde mélancolie, sans que celui-ci ne perde jamais sa cohérence.

Ce duo est la plus belle chose d’un film qui recèle mille autres beautés, comme son imposant casting de seconds rôles (dominé par un Josh Brolin hilarant) ou son utilisation magistrale de la musique, compilation pop qui illustre à merveille l’atmosphère embrumée d’un polar envoûtant.