Every Thing Will Be Fine

Vies minuscules

Wim Wenders revient à la fiction et à la 3D. Rien de spectaculaire, puisque ce beau drame intimiste et mélancolique parle de douleur, de culpabilité et de résilience, projetant les personnages et les spectateurs dans l’espace qui les entoure et le temps qui passe.

Dans une cabane, un homme se réveille, reprend ses notes dans un carnet, puis sort. Tout est blanc à perte de vue. Des pêcheurs emmitouflés assis devant des trous forés dans l’épaisse couche givrée attendent que le poisson morde à leurs lignes. Quelques mots, une cigarette. L’homme a écrit deux pages, eux ont pris deux perches… La compagne de l’écrivain, Sara, lui téléphone et l’encourage, Tomas est au bord de la rupture avec elle. Tandis qu’il conduit, Sara le rappelle et il ne décroche pas, il fume et s’enfonce sur un chemin enneigé, puis freine soudain, lorsqu’une luge déboule du chemin sur sa gauche.Ces premières images prennent en un millième de seconde un tour dramatique avec la mort d’un enfant. Un accident horrible qui fait basculer des vies minuscules

Kate (Charlotte Gainsbourg), la mère de l’enfant, et le petit frère de celui-ci, Christopher, Tomas et Sara (James Franco et Rachel McAdams). La 3D enveloppe les personnages et le spectateur avec eux dans l’espace hivernal, les flocons cinglent les yeux. Dans ce coton où les pas bruissent différemment, c’est comme si la stridence du terrible drame était étouffée sous la neige. Les vies de Tomas et Kate se sont croisées, alors qu’elles n’auraient jamais dû, elles reprennent leur cours parallèle, en restant indéfectiblement liées. Les saisons s’écoulent, repeignant en vert la contrée, la baignant dans une chaleur dorée. Puis la neige revient, l’air se glace à nouveau. Deux années passent, puis quatre, puis quatre encore. La vie de Kate se concentre sur son fils et sur son travail (elle dessine des plantes pour des ouvrages de commande) ; l’existence de Tomas évolue vers la publication d’un roman, puis d’un autre, vers la célébrité et une nouvelle vie avec une nouvelle femme, Anne (Marie-Josée Croze), mère d’une petite fille. Christopher, devenu un adolescent, souhaite le rencontrer et lui parler…

La douleur et ce qu’on en fait… Ce qui intéresse Wenders ici, c’est la psychologie, le temps et l’espace, toutes « choses » invisibles à l’œil et pourtant très palpables ici, dans ce double parcours d’un écrivain, qui ne semble atteint par rien directement, mais assimile et intègre le réel à sa création, à sa fiction (« Vos livres d’avant l’accident étaient moins bons », lui dit Christopher) et d’une mère que le drame et l’absence de son fils aîné imprègnent et modifient à tout jamais. Coupables ou non, nous sommes tous responsables les uns des autres. Et quand on fuit la responsabilité (d’être père, par exemple, pour Tomas), celle-ci vous rattrape avec une certaine ironie…

C’est ce que dit en creux ce film brutal et doux, écrit pour le réalisateur par le scénariste Bjorn Olaf Johannessen. Les longs plans englobent les êtres physiquement et approchent leurs visages pour toucher leur âme. La technique de la 3D nous les rend étrangement proches et la lumière du chef-opérateur Benoît Debie (Enter the Void, Lost River) dit bien l’évolution lente, la vie qui s’écoule, le chagrin qui se transforme… Chaque rencontre modifie le cours des choses. Radicalement ou insensiblement.

« Every thing will be all right », toute chose va retrouver sa place : c’est la promesse impossible entendue à plusieurs reprises dans le film (dont une fois en français dans le texte, à l’hôpital où gît Tomas). Comme un mantra pour avancer malgré tout, malgré le rien.