9 mois ferme

Défier les lois de la gravité

Une juge célibataire et coincée attend un enfant. Le père ? C’est un monstre, un voleur ayant viré cannibale. Albert Dupontel, en grande forme, dirige Sandrine Kiberlain et sa pomme dans 9 Mois ferme, une comédie sur la justice et les préjugés. Irrésistible.

La juge Ariane Felder ne rigole pas avec la loi. Avec rien ni personne, d’ailleurs. Lorsqu’elle découvre soudain qu’elle est enceinte de six mois, cette célibataire endurcie n’a aucune idée de l’identité du père. La fécondation ayant eu lieu la nuit de la Saint-Sylvestre, pendant laquelle Ariane avait abusé du champagne, elle suppose qu’il est l’un de ses collègues qui lui sourit benoîtement depuis. Mais après recherche d’ADN et vérification des vidéosurveillances aux alentours du Palais de Justice, plus de doute possible : le géniteur est Bob Nolan, un petit délinquant jusque-là simple voleur et récemment accusé d’avoir tronçonné sa dernière victime et de lui avoir mangé les yeux.

Albert Dupontel récidive pour la cinquième fois derrière la caméra (et devant) sur un scénario tricoté par lui-même. Pas vraiment au point layette, mais plutôt à la mitraillette. Comme à son habitude, partant d’un sujet lourdement ancré (ici déni de grossesse, tentative d’avortement et crime monstrueux accompagnent une intrigue dans les milieux de la justice), Dupontel y va fort, installe ses personnages à toute blinde (l’autoprésentation d’Ariane ; la description du passé de Bob), joue des effets spéciaux (les dossiers s’accumulant en montagne dans le bureau de la juge), des textures d’image (la vidéosurveillance) et d’un montage au cordeau. Il parsème son film de clins d’œil hilarants et de surprises (présence de guest stars, dont les réalisateurs Gaspar Noé, Jan Kounen et Terry Gilliam, ainsi que d’un acteur français célèbre qui joue les traducteurs pour sourds et malentendants), de sons qui en appellent au dessin animé, de gags récurrents et visuels dignes du slapstick, de coups de théâtre à la limite du grand-guignol. Sa mise en scène est drôle, inventive, caracolante et le spectateur, sans une minute de répit, est bombardé de scènes à l’humour ravageur. Et puis Dupontel aime follement ses personnages, et les pare d’une humanité jamais mièvre sans les rendre plus intelligents qu’ils ne sont. Sandrine Kiberlain est extraordinaire, rigide et cassante, féminine et  autoritaire, pitre et auguste. Face à elle, Dupontel campe avec aplomb, fantaisie et sincérité un homme simple au parcours terrible, un poète de la zone doté d’un bon sens désarmant et d’une imagination débordante (ses propositions d’explications de l’accident de sa «pseudo» victime sont à tomber par terre).

Mais il faudrait citer tous les acteurs, fidèles de la troupe Dupontel, tels Nicolas Marié, Philippe Uchan, Bouli Lanners, Philippe Duquesne, Gilles Gaston-Dreyfus. Chacun d’entre eux apportant sa trogne, sa verve. Bref, son grain de folie qui ne grippe pas du tout la machine (infernale) qu’est 9 Mois ferme, bien au contraire. De la rencontre improbable entre une juge psychorigide et un malfrat malchanceux, Albert Dupontel fait naître une comédie pas romantique pour deux sous, mais ubuesque et touchante. Futée, intelligente et drôle de bout en bout. Si le cinéma français avait quelque chose à prouver, en matière d’originalité, il vient de le faire avec ce film dingo. Courez-y, sous peine de rater l’occasion unique de rire dans le très sélect Palais de Justice de Paris.