Le Château ambulant

Celui qui sourit

STRASBOURG, 1999 :

Je suis en compagnie d’un génie du dessin, Jean Giraud (alias Moebius, disparu en 2012). Il me parle de son alter ego japonais, Hayao Miyazaki, dont il suit l’œuvre avec passion : « J’ai appelé ma propre fille Nausicaä, en hommage à Nausicaä de la vallée du vent (1984), alors vous pensez ! ». Dos à la cathédrale gothique flamboyante, nous faisons quelques pas devant la Maison Kammerzell, éminente bâtisse strasbourgeoise, dont il examine les colombages avec attention : « Vous savez que Miyazaki a envoyé spécialement du Japon une équipe de dessinateurs pour étudier la maison Kammerzell ? ».

SEPTEMBRE 2004 :

Le Château ambulant s’étale dans toute sa magnificence sur l’écran géant de la salle du Casino de la Mostra de Venise, lors de sa première mondiale. Dès les premières images s’égrènent des petites maisons à colombages, le village de l’héroïne Sophie. L’ectoplasme luminescent de Moebius semble me rejoindre dans l’obscurité de la salle pour s’installer à côté moi. Ensemble, nous assistons à l’une des plus belles projections qui soit : après sa plongée dans la mythologie japonaise avec Le Voyage de Chihiro (2001), le maître Miyazaki a rassemblé à présent toutes ses influences européennes. Il est au sommet de son art. Force esthétique et couleurs éblouissantes se conjuguent au gré d’un scénario enchanteur et dense. On y retrouve des thématiques chères au Maître japonais, le goût de l’aventure, la pluralité des situations et des points de vue, la condamnation de la guerre, la nature mirifique, une myriade de verts, des fleurs multicolores et un ciel azur, soudainement tourmentés par des désastres écologiques, des machines volantes et la carcasse d’un château qui déambule comme un ancêtre, au beau milieu du rêve et de la magie. On est impressionné lorsque Sophie, victime d’un sort, se transforme en vieillarde. On est hilare lorsque Hauru, héros guerrier au physique de jeune premier, se désespère de la décoloration de ses cheveux. On est stupéfait lorsque l’adipeuse sorcière des landes sue toute l’eau de son corps pour gravir un escalier sans fin. Ensorcelant, trip poétique, montagnes russes d’émotions : Le Château ambulant pourrait résumer à lui seul la sensation de bonheur au cinéma. Que signifie Miyazaki ? « Celui qui sourit ».