Lapins de cinéma #3

Le Coup du lapin (au cinéma) - Alice-Matrix / Monty Python / Lynch

C’est un symbole païen de fécondité, qui matérialise, en nous attendrissant, le renouveau, la renaissance que représente la période de Pâques. Mais il est aussi ce qui se carapate et échappe à notre tentation de contrôle : une fuite hors de l’espace et du temps vers un ailleurs inconnu.

Alors, suivons la bête, des terriers souterrains à la surface de la terre, lorsqu’il se dessine à l’écran ou doit être deviné…

Alice au Pays des Merveilles (version Disney et version Tim Burton) / Matrix

Suivre le lapin blanc

 

Suivre le lapin blanc… Beau programme, non ? Enfin, un programme en tout cas. En un épisode pour Alice qui suit la bestiole dans son terrier, et tombe sans fin dans un monde de rêves et de cauchemars. Qu’il soit pomponné et propret version Disney animée ou plus « edgy » dans celle de Tim Burton, il est toujours étonnamment grand, vêtu d’une veste et immanquablement… en retard !

Un guide un peu étrange, que les jeunes filles suivent malgré tout. Elles auraient dû se douter pourtant que ce n’était pas une bonne idée : non seulement le lapin blanc parle, mais il est aussi le meilleur ami d’un chapelier fou !

L’autre lapin étrange ? Il est tatoué sur l’épaule d’une demoiselle qui invite Neo dans une aventure en trois épisodes (Matrix 1, 2 et 3 des Wachowski). Quand son écran d’ordinateur s’éteint et lui affiche un simple message : « Follow the white rabbit », il est intrigué, puisqu’il a passé l’âge d’être une pré-ado endormie au pied d’un arbre. Mais quand des fêtards passent par là et qu’il repère l’animal, il s’embarque dans une histoire qui va changer le monde…

En gros, la leçon est simple : si un lapin blanc croise votre chemin, préparez un sac avec votre brosse à dents : vous partez à l’aventure !

Fadette Drouard

Monty Python : Sacré Graal ! de Terry Gilliam et Terry Jones (1975)

Le rongeur en folie

 

Forcément. S’il y a du lapin chez les Monty Python, ça dynamite. Ça part en civet. Pour leur second film et leur premier purement original, les décapants rosbeefs ont injecté des trouvailles aux p’tits oignons dans leur revisite de la légende arthurienne. De l’art du détournement. Prémice géante, le gang du Roi Arthur construit un lapin de Troie au lieu d’un cheval. Mais oublie de rentrer dedans. Pas très efficace. Plus tard, aux abords d’une grotte, dite caverne de Caerbannog, un gardien lagomorphe, mignon tout plein, veille. Mais un témoin prévient les preux chevaliers sans monture. Le minirongeur immaculé est d’une efficacité redoutable. Quiconque s’y frotte, périt. Que nenni, les valeureux défient la bébête… qui leur saute au cou, dévore, décapite, décime. Une moumoute blanche fuse et fend l’air dans tous les sens. La chair s’ouvre. Le sang éructe. Les pertes sont fatales. Il faudra la Sainte-Grenade d’Antioche, arme magique et délirante (normal) pour en venir à bout. C’est con, mais c’est bon. Beware of the lapinou !

 

Olivier Pélisson

Rabbits de David Lynch

Lapins radicaux

 

Une musique étrange, angoissante, signée Angelo Badalamenti. Un intérieur d’appartement, de style américain, aux tons bruns et verts, au décor intemporel, triste. Durant les 45 minutes de la série dans son intégralité, un même plan d’ensemble, fixe, comme une mauvaise captation d’une pièce de théâtre naturaliste. Monsieur Lapin est installé sur le canapé de cuir, madame fait le ménage, dans un coin de la pièce. Derrière elle, une lampe de salon sur pied est allumée, projetant sur le mur d’en face l’ombre bizarre de ses deux grandes oreilles. Les lapins parlent peu et, quand ils le font, c’est pour proférer des monologues monocordes avec les voix de Naomi Watts ou Laura Elena Harring (héroïnes de Mulholland Drive de D. Lynch, sorti un an auparavant). Parfois, des applaudissements ou des rires enregistrés viennent briser le quatrième mur, à la manière d’une sitcom. Sauf que rien n’est vraiment plaisant ou amusant. Fidèle à son habitude, Lynch joue le malaise, l’inquiétante étrangeté, avec un talent incroyable. Rabbits, dont quelques scènes ont été  insérées dans le film Inland Empire (2006), est peut être l’œuvre cinématographique la plus radicale de David Lynch. Un cinéma de l’angoisse face à un monde plus étrange qu’il n’y paraît. Et si nous aussi, étions des lapins comme les autres ?

Pierre Charpilloz