Bon, c’est clair : je ne suis pas pronosticologue, je n’ai pas mon diplôme en pronostics.
Donc, le jury n’écoute pas tout ce que je dis. Je prends note. Mais je n’en pense pas moins. Certes, The Voice of Hind Rajab est au Palmarès avec le Lion d’argent qui représente le Prix Spécial du Jury, mais comme souvent cela ressemble à un accessit : ce fut le cas à Cannes en 2024 pour Les Graines du figuier sauvage de Mohammad Rasoulof (qui faisait pourtant partie du jury vénitien, cette année). Le geste aurait été plus fort, plus ancré dans l’actualité brûlante, si le film de Kaouther Ben Hania (lire ici le reportage #5) sur cette enfant coincée à Gaza en janvier 2024 dans une voiture criblée de balles et entourée des cadavres des membres de sa famille avait été placé au sommet du palmarès. Film imparfait, mais hautement puissant et bouleversant, il méritait la pleine lumière. Voir Jim Jarmusch (#4) remporter la récompense suprême pour Father Mother Sister Brother est troublant. Film d’acteurs et film de forme, le treizième long-métrage de fiction du réalisateur de Paterson et Only Lovers Left Alive est plaisant, voire élégant, mais minimaliste sur le fond et sans grande surprise. S’il s’agissait de récompenser du grand cinéma, il eut été plus judicieux de sacrer No Other Choice de Park Chan-Wook (#3), qui allie une forme accomplie à un scénario résonnant très fort avec la cruauté du monde d’aujourd’hui (bien qu’adapté d’un roman de Donald Westlake publié en 1997). Ou Silent Friend de Ildikó Enyedi (#6) pour son audace et son ampleur.
Des bruits ont couru sur des délibérations homériques au sein du jury présidé par Alexander Payne. On ne saura pas vraiment ce qui s’est passé, mais le résultat est peu satisfaisant. Pour le prix d’interprétation féminin, pas de Valeria Bruni Tedeschi dans Duse (#5), mais Zhiley Xin, l’actrice de The Sun Rises on Us All de Cai Shangjun. Film honnête, mélo situé au sud de la Chine, où une femme de trente-six ans survivant en vendant des vêtements de la fast fashion sur Internet découvre qu’elle est enceinte de son amant, marié et père de famille. C’est à ce moment-là que revient dans sa vie son premier amour, qu’elle avait quitté alors qu’il était en prison pour avoir accidentellement tué un homme en voiture. Le film prend son temps pour exposer les raisons de sa colère à lui, et de sa culpabilité à elle. Les acteurs sont investis, le film est parfois inutilement opaque dans son écriture et très classiquement réalisé. Admettons que la récompense à Toni Servillo pour La Grazia de Paolo Sorrentino (#2) n’est pas volée, et que le prix du scénario à Valérie Donzelli et Gilles Marchand pour À pied d’œuvre (#3), adaptation réussie du roman autobiographique de Franck Courtès, a du sens, même si François Ozon aurait pu prétendre au même trophée pour l’intelligence et l’invention de son adaptation de Camus dans L’Étranger. Finalement, le seul prix vraiment enthousiasmant est celui du meilleur espoir à Luna Wedler pour Silent Friend d’Ildikó Enyedi, merveilleuse révélation de ce festival dans un film qui a réveillé la compétition et suscité plus d’intérêt (et d’interrogations) que la plupart des œuvres en lice.
Dans cette sélection alléchante sur le papier, fourmillant de grandes signatures et d’actrices et acteurs en vue, il nous a manqué, parfois, la nouveauté, l’originalité, la jeunesse.
Le Palmarès de la 82e Mostra de Venise
- Lion d’or du meilleur film
Father Mother Sister Brother de Jim Jarmusch
- Lion d’argent – Grand Prix du Jury
The Voice of Hind Rajab de Kaouther Ben Hania
- Lion d’argent – Prix du Meilleur Réalisateur
Benny Safdie pour The Smashing Machine
- Prix Spécial du Jury
Sotto le nuvole de Gianfranco Rosi
- Prix du Meilleur Scénario
À pied d’œuvre de Valérie Donzelli
- Coupe Volpi – Prix d’interprétation Féminine
Zhiley Xin pour The Sun Rises on Us All de Cai Shangjun
- Coupe Volpi – Prix d’interprétation Masculine
Toni Servillo pour La Grazia de Paolo Sorrentino
- Prix Marcello Mastroianni du meilleur espoir
Luna Wedler pour Silent Friend de Ildikó Enyedi