La femme qui en savait trop de Nader Saeivar

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Coscénarisé et monté par Jafar Panahi (Un simple accident), ce film raconte trois générations de femmes, luttant contre tout ce qui, en Iran, les empêche et les entrave.

L’image se niche au cœur du film, après une première partie haletante : une femme en hijab, silhouette noire de dos face à une montagne. Et c’est bien ce que gravit, certes au figuré, Tarlan, professeure à la retraite, militante pacifiste, qui après avoir constaté que son gendre battait sa fille lutte pour faire reconnaître, suite à la mort de celle-ci, qu’il est le meurtrier. La femme qui en savait trop, troisième long de l’Iranien Nader Saeivar, coscénariste de Trois Visages de Jafar Panahi (2018) est coécrit et monté par ce dernier (qui, depuis, a remporté la Palme d’Or au Festival de Cannes 2025 pour Un simple accident).
Il s’ouvre sur un long plan séquence de toute beauté, où Tarlan, beau visage marqué par les ans et longs cheveux blancs sous un foulard léger, est assise dans une salle de danse. Elle est enlacée par Ghazal, sa petite fille, tandis qu’en off sa fille donne les dernières directives avant de lancer la chorégraphie. La caméra panote, découvrant des femmes en blanc et d’autres en rouge se mouvant sur fond immaculé. Ghazal, tout de noir vêtue, les rejoint puis disparaît et réapparaît dans le mouvement, bientôt rejointe par sa mère, elle aussi tout en noir, qui sinue entre les danseuses avant que de nouveau l’image rejoigne la vieille dame regardant le spectacle avec amour.
Du rouge pour le courage, du blanc pour la paix : il manque ici le vert du drapeau iranien symbolisant l’Islam. Dans cet espace du studio de danse, la religion -surtout portée à son extrême – n’a pas sa place : le noir de la mère et de la fille symbolise ce qui va faire tache, grain de sable et poil à gratter dans ce pays aux lois raides et iniques.
Sur fond de révolte pacifiste réprimée sévèrement (le mouvement Femme, Vie, Liberté) seulement évoquée par les dialogues, et tandis que d’autres femmes veillent, aident, se battent et gardent confiance en l’avenir malgré tout, se déroule un drame conjugal où le perpétrateur est un haut dignitaire de l’État et est donc protégé, quoiqu’il fasse. Tarlan sera prise à partie, emmenée dans le désert, menacée à travers les gens qu’elle aime : son fils, sa petite fille, ses collègues du lycée…
La mise en scène ne cesse d’enfermer, derrière des rideaux, des portes closes, des fenêtres grillagées ou dans l’habitacle des voitures, son personnage de vieille dame très digne qui s’échappe pourtant chaque fois. Car malgré l’oppression constante, malgré cette femme dans la rue qui en enjoint une autre, sans voile, à le porter ou à quitter le pays si ses lois ne lui conviennent pas, malgré les injonctions et les intimidations proférées à voix douces par des sbires sans scrupules, Tarlan persiste. Pour la vérité et la justice. Pour la liberté. Tarlan, c’est Maryam Boubani, actrice immense à la présence à la fois légère et imposante, aux yeux baignés d’une bonté infinie. Elle habite le film de bout en bout, vaillant petit soldat sans peur qu’on n’oubliera pas de sitôt. Si, ça et là, on peut reprocher des symboles trop signifiants (les souris), et une troisième partie plus confuse, La femme qui en savait trop n’en reste pas moins une œuvre politique, nécessaire et passionnante. Encourageante aussi.
Elle se termine sur une autre danse, libératrice et onirique, qui ouvre les portes et fait tomber les murs, une danse qui fait écho à toutes celles que le générique nous montre en format téléphone sur les réseaux sociaux.

Isabelle Danel