Fantôme utile de Ratchapoom Boonbunchachoke

Particules élémentaires

Ovni thaïlandais au charme entêtant, Fantôme utile marque les premiers pas du réalisateur Ratchapoom Boonbunchachoke dans la cour du long-métrage. Une fresque romantique, poétique et politique, qui ose le burlesque et les ruptures de ton pour raconter un pays et son lien aux mythes.

Ornée du Grand Prix de la Semaine de la Critique au dernier Festival de Cannes, cette aventure se savoure le long de ses deux heures dix de récit. Les premières images donnent la note : des grains de poussière tombent sur la ville. Pollution urbaine et économique, métaphore des particules fantomatiques, elle signifie d’emblée que les mondes visible et invisible sont poreux, et que quelque chose contamine la normalité ambiante. Jusqu’à l’impensable… savoureux. Les esprits soufflent où ils veulent et intègrent n’importe quelle enveloppe. En l’occurrence celle d’un aspirateur et autres appareils mécaniques et électroménagers. L’audace est l’ADN de ce premier film long, tout droit sorti de l’esprit plein de poésie du jeune cinéaste Ratchapoom Boonbunchachoke. Empreint des mythes et légendes de Thaïlande, et du goût est-asiatique pour les histoires de fantômes, il dépasse le réalisme pour mieux raconter sa vision du monde. Un monde marqué par les injustices, les injonctions et les répressions politiques et sociales. Mais aussi par les fantasmes.

C’est en affirmant le poing levé son goût pour un monde inclusif, joyeux, vengeur, sensuel et burlesque, que l’auteur s’exprime avec générosité. Avec un soin apporté au son comme à l’image, il défend son univers pétri de romantisme et de mélancolie, sans jamais forcer sur la vitesse. Son traitement s’appuie sur un rythme qui donne à chaque scène les conditions idéales pour installer un climat, et pour rendre les émotions palpables. Ses couples hétéro comme queer s’aiment passionnément, au-delà des contingences matérielles et du temps, de décors urbains simples et populaires en belle villa, en passant par un fascinant local d’expérimentation, à l’architecture et aux formes détonantes. Marqué par des maîtres du cinéma d’auteur international, de Raoul Ruiz à Jacques Rivette, de Chantal Akerman à Manoel de Oliveira, d’Otar Iosseliani à João Cesar Monteiro, Boonbunchachoke aime faire décoller le réel vers la fantaisie fantastique et toucher à la fable. Il gagne le pari en créant sa propre signature, en alliant la douceur à la noirceur. Gageure passionnante à regarder se déployer sur grand écran, et promesse d’un parcours à suivre de près.

Olivier Pélisson