En cinq ans, le festival Sœurs Jumelles a remporté son pari : créer un festival où musique et cinéma avancent main dans la main, sans hiérarchie et dans la ville des demoiselles les plus célèbres de l’histoire des comédies musicales : Rochefort.
Avec sa programmation intelligente, humaine et audacieuse, à la fois pointue pour les professionnels, innovante pour les scolaires et généreuse pour le grand public, le festival Sœurs Jumelles et son équipe 100 % good vibes ont accueilli 18 000 visiteurs cette année, du 24 au 29 juin ! De passage durant cette édition riche en émotion, créativité, rencontres et découvertes, BANDE À PART en a profité pour bavarder avec Julie Gayet, fondatrice et présidente du festival. Entre deux souvenirs, trois chaises à ranger, des sollicitations permanentes, un sourire infatigable et une bonne humeur qui ferait fondre un iceberg, nous avons évoqué son amour pour les festivals, le cinéma, et la musique.
Julie Gayet : Mon premier festival est inoubliable : je suis au Festival de Cannes, avec Michel Piccoli. Je joue Camille Miralis dans Les Cent et une nuits de Simon Cinéma d’Agnès Varda et on « vole » une scène. C’est-à-dire qu’on joue, moi dans mon costume, je monte les marches, les caméras tournent au milieu des photographes, et puis… « coupez ! ». Eh bien, le lendemain, dans Le Film français, il y avait une photo de nous montant les marches, avec comme légende : « Michel Piccoli et Jessica Lange ? » Et c’était déjà dingue en soi, mais surtout parce que si j’ai désiré faire ce métier, c’est justement à cause d’un film avec Jessica Lange, sur une actrice qui se fait lobotomiser. Donc un journaliste qui ne me connaissait pas – parce que personne ne me connaissait à l’époque – m’a confondue avec mon idole de jeunesse. D’ailleurs, dans ce film, il y aussi Mathieu Demy, qui est venu cette année à Sœurs Jumelles. Une immense émotion pour moi.
J.G. : Mon premier concert marquant, et c’est une des raisons pour lesquelles j’ai monté ce festival, c’est… moi. Je faisais du chant lyrique et donc des petits concerts. Je jouais la pie, et j’étais déguisée, un peu façon La Flûte enchantée, dans une œuvre de Darius Milo. Et mon personnage était très… négatif. Eh bien, chaque fois que j’apparaissais sur scène, les enfants criaient : « Attention, attention, voilà la méchante ! ». Et j’ai adoré ça. J’ai adoré être quelqu’un d’autre, et jouer et chanter et interpréter. J’avais 12, 13 ans.
J.G. : J’avais un cousin qui était fou de The Cure et qui m’a emmenée les voir. C’était fou. Et il y a eu David Bowie ! Avant ou après, je ne sais plus… Ah, un truc dingue, aussi, avec mes parents, pendant un voyage au Sénégal : j’ai vu Youssou n’Dour et c’était fantastique. C’était avant son tube interplanétaire avec Neneh Cherry. Mais j’avais été vraiment retournée.
J.G. : La musique composée par Ennio Morricone pour Mission de Roland Joffé, en 1986. Les chœurs, les voix d’enfants… Transport absolu.
J.G. : C’est une autre aventure, pour moi, clairement. À part peut-être quelque chose comme West Side Story. Parce que là, c’est vraiment lié au film, il faut les images. Mais sinon, je dissocie les deux, il me semble. Par exemple, il y a la musique de la compositrice Audrey Ismaël, qui a signé la B.O. de Diamant brut notamment… Je peux l’écouter sans penser au film du tout, tellement la musique m’emmène.
J.G. : Oui, bien sûr… Mais en fait, pour moi, chaque film a SA musique. Une musique qui lui appartient, une rythmique aussi. Dans les dialogues, dans un scénario, avec le fameux « une page = une minute », il y a un univers rythmique. Quand je travaille le scénario, eh bien, je travaille une partition. C’est-à-dire que je cherche d’abord la voix de mon personnage. Et ce qui doit me guider : est-ce qu’elle a la voix grave, ou très aiguë, est-ce qu’elle parle rapidement, ou avec nonchalance ? En fait, je cherche la note de mon personnage, l’endroit où le personnage avance à son rythme, avec sa note. Ça peut me prendre parfois plusieurs jours de trouver cette voix. Et je vais chercher la rythmique dans la démarche du personnage, dans chaque scène. Ma très grande chance, je crois, c’est qu’avec Agnès Varda, j’ai pu accéder à tous les postes, tous les aspects de la fabrication d’un film. J’ai pu aller au montage. J’ai été perchwoman de Nicolas Becker, qui a quand même eu l’Oscar du son. J’ai pu aller voir ce qui se passe au bruitage, voir comment on fabrique des bruits de pas qui marchent, qui courent. Tout ça m’a vraiment fait comprendre cette histoire de son au cinéma : c’est un puzzle, en fait, avec des énergies et du rythme. (Elle se lève) Excusez-moi, je reviens tout de suite, il faut juste que j’aille voir mon directeur technique, il est juste là, il faut que j’aille le voir pour lui dire à quel point il est génial. (En revenant, elle déplace spontanément des chaises pour le confort des professionnels qui cherchent de la place et se rassied avec un grand sourire). Pardon, mais c’était très important !
J. G. : Un festival, c’est le contraire des nouvelles technologies. Même si on adore la technologie, évidemment. Mais c’est vrai qu’aujourd’hui les gens se sont un peu beaucoup isolés. On est un peu beaucoup chacun chez soi, un peu beaucoup chacun sur nos téléphones, et on l’a beaucoup ressenti au moment du confinement. Un festival, c’est cette idée de rencontre. C’est pour ça qu’on insiste sur la définition des Soeurs Jumelles, qui est « la rencontre entre l’image et la musique ». D’ailleurs, on dit les Rencontres d’Arles. Un festival, c’est montrer des œuvres à voir et, donc, des artistes qui ressentent le Monde et qui nous font vivre les choses différemment. C’est se rassembler et se retrouver. Et aussi… vibrer ensemble ? Comme dans une salle de cinéma, c’est un espace, avec une vibration, qui permet d’échanger, écouter, entendre autre chose, ensemble.
J. G. : Oui, c’est ça. Comme dans une salle de concert. Et une bonne programmation, c’est celle qui permet d’échanger, de rencontrer des gens ou des univers qu’on ne connaît pas, des musiques différentes. Sœurs Jumelles programme des musiques très très différentes sur une même scène pour favoriser les découvertes et les surprises. Il y a cette idée d’ouvrir la curiosité plutôt que de suivre les algorithmes qui vous donnent à voir ce que vous connaissez déjà.
J. G. : Je pourrais parler de mille choses. Mais c’est vrai que ce qui me vient là, comme ça, c’est l’année où Lucie Antunes est venue. Elle avait créé un montage d’images d’archives de l’INA, qui est l’un de nos partenaires privilégiés, c’est important de les citer, ils sont extraordinaires avec nous. Lucie Antunes nous a présenté quarante-cinq minutes d’images diverses sur ce que peut être le chamanisme, ce que peut être le carnaval, le rassemblement d’une foule… Et elle a joué de ses percussions et de sa batterie pour nous faire vivre une expérience quasi transcendantale. Avec les images, c’était quelque chose de fantastique, d’unique… Et la pianiste Corinne Sombrun est arrivée sur scène et elles ont parlé chamanisme. Les gens étaient venus sans savoir ce qu’ils allaient vivre, et ils étaient… comme des fous.
Je pense aussi à ces images d’archives de Cocteau, où on l’entendait…, à tellement de choses, et d’artistes. Oui, voilà, c’est vrai qu’on essaie de provoquer des moments inédits, pour nous, et pour chaque personne présente.
NB : Projections, tables rondes, master class, conférences, concerts et surprises…
Le festival Sœurs Jumelles a lieu à Rochefort chaque année, fin juin.
Toutes les infos sont sur https://soeursjumelles.com
Mary Noelle Dana