Les Filles désir de Prïncia Carr

La sororité, frère

Premier long-métrage tourné à Marseille avec de jeunes acteurs débutants confondants, Les Filles Désir est un petit bijou d’humour et de justesse.

Ce premier long-métrage semble tout d’abord formaté en tragédie grecque : une très jeune femme, ancienne prostituée, revient dans son quartier d’enfance à Marseille et menace le bel équilibre atteint par ses amis, notamment grâce à Omar, 20 ans, chef de bande et animateur (à l’essai pour l’été) d’un centre aéré pour enfants. Tout ce qui s’annonce dès les premières images est habilement déjoué : le film dérive et digresse, quitte le point de vue masculin (jeunes gens hélant les filles, crachant des réflexions sexistes, cataloguant chacune d’elles) pour le féminin (échange et compréhension, loin des rivalités clichés). Il devient, lors d’un travelling sur une moto chevauchée par les deux héroïnes, un hymne à la liberté gagnée de haute lutte. Les filles comme les garçons s’appellent « frère », et soudain, la sororité chamboule tout. Du rap trapu d’Alonso, Hasta La vista, entonné dans la voiture au début, on passe à la douce rengaine de Vendredi sur mer qui donne son titre au film : Les Filles désir. Et c’est tout un art.

À Marseille, dans les quartiers nord, Prïncia Car anime, depuis plusieurs années, des ateliers de théâtre et de cinéma. Après quelques courts, elle s’est lancée dans ce long-métrage, coécrit avec Léna Mardi, né des improvisations avec de jeunes apprentis acteurs emballants qu’elle a connus à quatorze ou quinze ans : Housam Mohamed, Lou Anna Hamon, Leïa Haïchour… La mixité, les différentes ethnies et religions, ainsi que la violence dans les quartiers sont posées dès le départ, puis vient cette impression d’une éternelle enfance qui s’ébroue dans l’espace qui a toujours été celui des protagonistes (et de ceux qui les incarnent) : des barres d’immeubles toutes semblables, un snack improvisé, un gymnase, mais aussi, un peu plus loin, la plage au Vallon des Auffres et la fête foraine du Prado. Tandis que la place des garçons et des filles, les rapports aux parents, le sens de la fidélité, émaillent des dialogues vifs et souvent drôles, débités à la mitraillette. « On n’a que des rêves périmés, c’est chaud ! », s’esclaffe Carmen, constatant à quel point il leur est difficile, à elle et Yasmine, de sortir de ces injonctions avec lesquelles elles ont grandi. Comme il est difficile aux garçons de se déconstruire, de s’adoucir et de changer de discours.

De gros plans où l’on discerne le grain des peaux, aux vues de la ville inondée de lumière, sur un rythme échevelé bercé par la Méditerranée et scandé par la tchatche de ces grands gamins à la présence impressionnante, une réalité sans fard est saisie, comme cueillie, par la réalisatrice. Celle d’un monde qui avance à petits pas, et de jeunes gens qui émergent d’un carcan. Lentement mais sûrement.