

Certains l’appellent « la juge Ginsburg », d’autres « Notorious RBG ». Ruth Bader Ginsburg est certainement la plus populaire des juges de la Cour Suprême des États-Unis. Figure importante de la lutte pour l’égalité femmes-hommes et icône de la pop culture, Ruth Bader Ginsburg est au cœur d’un documentaire actuellement en salles, RBG, retraçant sa vie héroïque et romanesque. Entretien avec la coréalisatrice, Betsy West.
Oui, c’est vrai. Beaucoup d’Américains connaissent la juge Ginsburg. Néanmoins, peu d’entre eux connaissent le rôle qu’elle a joué en tant que jeune femme avocate dans les années 1970 pour l’égalité entre les femmes et les hommes. C’est pour cette raison que Julie Cohen et moi avons décidé de faire ce film. D’un côté, il y a tous ces fans, qui l’appellent « Notorious RBG » (en référence au rappeur Notorious BIG, N.D.L.R.), en raison de ses prises de position en tant que juge à la Cour Suprême en faveur de l’égalité des sexes. Mais au-delà de ça, il y avait une histoire passionnante à raconter, sur le parcours d’une femme qui a subi de nombreuses discriminations et qui s’est battue toute sa vie, en trouvant un moyen pour que sa situation, et celle de toutes les femmes aux États-Unis, puisse changer. Mais ce n’est pas qu’une histoire américaine. C’est aussi le récit universel d’une vie particulière, celle d’une femme qui réussit à convaincre neuf juges masculins de la Cour Suprême que, oui, la discrimination sexuelle existe.
Pas de cette manière-là. En 2013, la Cour Suprême est devenue plus conservatrice qu’auparavant, et plusieurs décisions de la Cour ont choqué les Américains les plus libéraux et progressistes. À ce moment-là, une jeune femme qui soutenait certaines positions progressistes de la juge Ginsburg a lancé un blog, qui s’appelait « Notorious RBG ». Le succès a été énorme, et la renommée de la juge Ginsburg part de là. Pourtant, Ruth Bader Ginsburg n’avait rien à voir avec ce blog, et ne connaissait même pas son existence. Il y a eu d’un coup, partout sur Internet, des mèmes, des GIF, des T-shirts, des tatouages, autour de la personnalité de la juge Ginsburg. Je ne pense pas qu’un autre juge ait eu ce type de notoriété-là. Après, des juges comme Antonin Scalia (décédé en 2016, N.D.L.R. ) – qui était son opposant au sein de la Cour Suprême, mais aussi son plus proche ami – était un conservateur très charismatique, très connu et respecté.
Je ne pense pas que ce soit le système, ici, qui fascine, mais plus les enjeux dramatiques qu’il y a derrière. En ce qui concerne RBG, il faut dire aussi que de nombreuses grandes féministes étaient françaises : Simone de Beauvoir, Simone Veil, et d’autres.
Non. Elle n’est pas connue pour avoir été la première. Il est vrai que Ruth Bader Ginsburg a quelque peu éclipsé Sandra Dale O’Connor, qui était la première juge féminine de la Cour Suprême. Sur la question du droit des femmes, c’est Ruth Bader Ginsburg qui marque l’Histoire, en raison de son engagement et de son combat déjà en tant qu’avocate. Exactement comme Thurgood Marshall a marqué l’Histoire, pas seulement en tant que premier Afro-Américain à siéger à la Cour Suprême, mais surtout pour avoir été une figure importante pour le mouvement des droits civiques. À l’instar de Ruth Bader Ginsburg, c’est un géant pour le combat qu’il a mené toute sa vie, et davantage en tant qu’avocat qu’en tant que juge à la Cour Suprême
Je dois préciser qu’on a commencé ce film il y a trois ans. On ne s’attendait ni au mouvement #MeToo ni à l’élection de Donald Trump. Ensuite, la juge Ginsburg ne va rien dire sur la nomination de Brett Kavanaugh. Elle n’en a pas le droit. Elle a actuellement de très bonnes relations avec tous les autres juges de la Cour Suprême. Elle croit au travail collégial, à une équipe équilibrée par des points de vue différents. Cela me fait penser aux propos de Barack Obama lors de l’hommage au sénateur de droite John McCain : « Nous sommes dans la même équipe ». Je pense que la juge Ginsburg ressent la même chose vis-à-vis de ses confrères. Elle croit dans le système juridique et politique américain. Elle croit au modèle américain. Dans ce modèle, c’est le président élu qui nomme les juges de la Cour Suprême.
Oui, les avis diffèrent selon l’interprétation de la Constitution. Pour la juge Ginsburg, la Constitution doit évoluer et s’adapter à l’évolution de la société. Pour des juges plus conservateurs, c’est la société qui doit s’adapter à la constitution.
Quand on la voit en personne, c’est ce qu’on peut se dire : elle est petite, elle a l’air fragile. C’est une vieille dame. Mais elle a une énergie incroyable. Je l’ai vue travailler toute une journée, et puis le soir aller à l’opéra et rester éveillée jusqu’à minuit. Elle est en très bonne santé et prend soin d’elle. Elle a un coach avec qui elle fait beaucoup de sport. Ça a d’ailleurs été l’un des moments les plus improbables du tournage : être dans une salle de gym avec Ruth Bader Ginsburg en train de faire du sport ! C’est assez inspirant de voir qu’à 85 ans elle est toujours capable de suivre cet entraînement. À mon sens, elle est complètement dans les sujets. Elle a toute sa tête, elle est très intelligente et elle a une mémoire incroyable.
Julie West et moi l’avions déjà interrogée sur d’autres sujets par le passé. Lorsque l’on a eu l’idée de ce film, nous lui avons envoyé un simple e-mail, écrit avec beaucoup de précaution, pour savoir si nous pouvions la rencontrer. Elle nous a répondu : « Pas pour le moment ». Mais ça ne voulait pas dire « non »… On lui a alors envoyé un second e-mail, lui expliquant qu’on comprenait qu’elle n’avait pas le temps, mais qu’on pourrait déjà interviewer quelques autres personnes qui pourraient nous parler d’elle. On lui a envoyé une liste importante, pour lui montrer que le projet était sérieux. Elle nous a répondu qu’elle n’aurait pas le temps de participer à une interview pendant « au moins deux ans ». Sauf qu’elle avait déjà 82 ans à ce moment-là… On a eu un peu peur. Mais dans le paragraphe suivant, elle nous disait que nous devrions également nous entretenir avec toute une série d’autres personnes, en nous donnant des noms. Elle ne nous donnait pas un clair feu vert pour le projet, mais une espèce de feu orange. On s’est dit qu’on allait commencer. Bien avant d’interviewer Ruth Bader Ginsburg en personne, on a rencontré beaucoup de gens qui ont compté dans sa vie, à commencé par sa famille. Après quelques mois de tournage, l’une de ses petites-filles venait juste d’être diplômée en droit à Harvard, un demi-siècle après sa grand-mère, qui était la seule femme de sa promotion. Dans la promo de sa petite-fille, ils sont 50 % d’hommes et 50 % de femmes. Cela confirme ce que dit la juge Ginsburg : la société change.