La Quinzaine en actions

Histoires de femmes

La Quinzaine des Réalisateurs, ce sont des films et des cinéastes du monde entier mis en lumière sur la Croisette, mais c’est aussi tout un travail d’éveil au cinéma destiné à des publics non professionnels, dans l’ombre et tout au long de l’année dans des quartiers populaires de Cannes. Plongée au coeur de La Quinzaine en actions et de son atelier d’écriture de scénarios pour femmes. 

Devant le cinéma cannois La Licorne, en marge de la Croisette, elles attendent le début des festivités. Karine Ammariche, Ekatarina Avaliani, Nadine Becquart, Nadia Bergaoui, Karine Courtade, Laurence Goulard et Najla Lassoued sont sur leur trente-et-un. Toutes élégantes et dignes, elles se rendent, le regard lumineux, à la cérémonie qui clôture, en présence de la ministre de la Culture François Nyssen, leur atelier d’écriture scénaristique. Cet atelier, encadré par la scénariste Raphaële Moussafir (Du vent dans mes mollets, Ôtez-moi d’un doute de Carine Tardieu, présenté à la Quinzaine des Réalisateurs l’an passé) et de l’actrice-auteur Camille Chamoux, les a mobilisées quatre mois durant.

Raphaële Moussafir et Camille Chamoux, Quinzaine en actions 2018
Raphaële Moussafir et Camille Chamoux, Quinzaine en actions 2018

Cet atelier d’écriture de scénario est l’une des multiples démarches réalisées par La Quinzaine en actions, le pan éducatif et social de la Quinzaine des Réalisateurs. Ce versant, moins exposé que la projection des films sur la Croisette, mobilise des professionnels et des bénévoles d’associations tout au long de l’année. La Quinzaine a toujours eu pour volonté de s’ouvrir au public et entend donner accès à des ateliers d’écriture et de réalisation à des personnes défavorisées. Ces sept dames à l’honneur aujourd’hui se sont vu proposer cet atelier par l’association Parcours de femmes qui soutient des femmes en difficulté depuis vingt ans dans les quartiers populaires de Cannes en les aidant dans leur réinsertion professionnelle et sociale. Laurence, Ekaterina, Nadine et les autres ont saisi l’occasion comme on accueille une offrande et ont travaillé pendant quatre mois à mettre en forme leurs histoires. « Je voulais faire passer un message d’espoir aux femmes en souffrance. Car se reconstruire, c’est possible ! », résume Carine. Ekaterina est géorgienne. Ses grands yeux expressifs en disent long sur la fierté que représente pour elle l’aboutissement de ce projet : « J’avais tellement envie de transmettre un élan de solidarité pour démontrer qu’en groupe, on peut gravir des montagnes. Nos histoires, ce sont des évasions. Nous sommes des femmes ordinaires qui racontons des histoires extraordinaires ».

Juste avant que la cérémonie ne commence, Raphaële Moussafir et Camille Chamoux ont lu et interprété deux des scénarios de courts-métrages édités dans un recueil les auteurs tenaient fièrement en mains.

Dans Le Syndrome du coeur vide, Karine Courtade parvient en quelques pages à faire naître un personnage de grand-mère et celui de sa petite-fille et a inventé des situations cocasses et drôles dans un contexte hospitalier. L’émotion est réelle, les dialogues bien écrits : on y croit, l’auditoire vibre et les deux lectrices ne dissimulent pas leur vive émotion.

Sur scène, Camille Chamoux exhorte le public à faire savoir à des réalisateurs qu’il serait bon de porter à l’écran ces scénarios. Gageons que ce petit recueil tombe entre des mains inspirées : il pourrait en jaillir de courts films fervents.

 

Brève rencontre avec Raphaële Moussafir et Camille Chamoux :

Comment êtes-vous parvenues à faire cheminer ces femmes, d’une histoire très personnelle à un scénario distancié ?

Raphaële Moussafir : Elles sont arrivées avec cette matière chargée, avec beaucoup de superpositions, il s’agissait de les aider à choisir un point de vue sans être forcément impudique, et en travaillant le non-dit, éventuellement l’humour. Camille, le premier jour, leur a dit : « Nous ne sortirons pas de cette pièce aujourd’hui sans que chacune sache ce qu’elle a à raconter. »

Camille Chamoux : On ne leur a pas demandé de raconter leur histoire. Nous avons immédiatement abordé les choses sous l’angle de la fiction. Il y a eu beaucoup d’éléments personnels conservés, mais aussi beaucoup d’inventions. Notre combat avec Raphaële était qu’on conserve à l’écriture l’humour dont elle font preuve dans la vie, quelle que soit la dureté de ce qu’elles voulaient raconter. Elles ont toutes réussi à transcender leur autobiographie et à toucher du doigt la puissance de la fiction.

Raphaële Moussafir : La fiction permet de partager les émotions. On leur expliquait qu’il était important de ne pas vider leur valise, mais d’être dans l’adresse pour toucher les gens. Elles ont toutes trouvé le petit truc qu’il faut laisser en suspens pour que le spectateur le reçoive. Elles ont compris qu’il ne fallait pas tout dire.

En quoi l’écriture de scénario est-il plus adaptée que l’écriture romanesque, de nouvelles, par exemple, pour ces femmes qui ont le désir de s’exprimer ?

Camille Chamoux : Une nouvelle, c’est l’expression d’une intimité, celle de l’auteur, qui s’adresse à une autre intimité, celle du lecteur. Le scénario est destiné à être réalisé et vu. Tout ce qu’on raconte doit être digéré par un réalisateur ou une réalisatrice. Le scénario est une étape vers la réalisation, ce qui induit une distanciation supplémentaire par rapport à une histoire personnelle.

Raphaële Moussafir : C’est aussi une forme d’écriture beaucoup plus démocratique. Il y a beaucoup de gens inhibés par l’écriture tout court depuis l’école où elle est enseignée. Le scénario permet au talent de s’exprimer sans obligation de résultat littéraire. Il y a une urgence et une oralité qui peuvent se transmettre dans le scénario. En outre, le fait que cet atelier se passe à Cannes, ville de cinéma, joue beaucoup aussi.

Dans quelle mesure êtes-vous toutes deux ressorties nourries de cette expérience ?

Camille Chamoux : La confiance qu’elles nous ont faite m’a portée. Livrer son imaginaire peut être violent comme acte, ce n’est pas évident, et à neuf cerveaux, je trouve qu’on a pondu sept histoires très fortes. C’était très riche pour nous, très inspirant.

Raphaële Moussafir : J’ai eu presque l’impression de communier avec ces femmes. Le fait que ce soit notre métier, mais que des femmes dont ce n’est pas le leur viennent nous confier leur imaginaire était une expérience très forte pour nous deux.