Histoires de secrets

PROLOGUE

Le Festival Premiers Plans d’Angers (du 16 au 25 janvier) met au jour le secret au cinéma dans une rétrospective foisonnante. Quel beau sujet, qui est aussi objet ! Le secret est la matière intrinsèque du 7ème Art qui le tisse et le fonde, ressort inhérent ménageant le suspense et ses effets, rouage de la fabrication même du film qui ne révèle pas toujours ses « trucs ».
Il est des films qui cachent au spectateur ce que les personnages savent et d’autres dont le public est seul dépositaire de la « clé », pendant un temps et parfois jusqu’au bout. Et puis il arrive que l’inavouable reste caché… Tour d’horizon en quatre grands thèmes et quatre grands films, pour dire aussi que la nature du secret est rarement univoque.

1. SECRET DE FAMILLE

Taire la vérité pour continuer à vivre. Avec Histoire d’un secret, Mariana Otero signe un documentaire très singulier. Puisque l’enquête qu’elle mène sur sa propre mère et sa disparition est au cœur de sa parentèle et d’un mensonge à double (voire triple) fond, fabriqué pour protéger deux petites filles de l’inacceptable, et cacher à toute la famille la réalité de sa mort des suites d’un avortement clandestin en 1968, six ans avant la loi Simone Veil. Dans cette enquête, Mariana Otero libère la parole de tous et l’émotion qui l’accompagne, elle décharge son père d’un fardeau trop longtemps porté seul. De ce secret personnel, elle élargit à l’universel de bien des femmes à cette époque. Elle fait aussi, en glanant des tableaux, le portrait de l’absente, elle même portraitiste et peintre, et la restitue dans sa vie même de femme, de mère et d’artiste. Ce film très écrit laisse le champ libre au hasard et à l’imaginaire. Car c’est la caméra, révélateur bienveillant, qui fait apparaître l’image réelle, éloigne le chagrin et crée de la beauté.

 

Histoire d'un secret réalisé par Mariana Otero.

2. SECRET CRIMINEL

Dans La Nuit du chasseur, seul et unique film réalisé par l’acteur Charles Laughton, deux enfants, dont le père est arrêté et exécuté pour vol, jurent de taire (y compris à leur propre mère) l’endroit où celui-ci a caché le fruit de son butin avant de tomber aux mains de la police. Comme La Lettre volée d’Edgar Allan Poe, ce trésor est enfoui dans un objet visible par tous. C’est un conte où le mal et le bien s’affrontent comme dans la parabole des mains du faux pasteur et vrai croquemitaine incarné par Robert Mitchum, dont la gauche est tatouée des lettres qui forment le mot H.A.T.E. (haine) et la droite, L.O.V.E. (amour). Le secret du film est ce pourquoi est mené de haute lutte et de toute éternité ce combat entre la laideur et la beauté du monde. La sublime lumière du chef-opérateur Stanley Cortez dessine en noir et blanc, que séparent d’infinies nuances de gris, cette dualité évidemment contrastée.

La Nuit du chasseur de Charles Laughton.

3. SECRET POLITIQUE

À bout de course de Sidney Lumet travaille les dommages collatéraux du terrorisme radical comme moyen d’action dans les années 1960 aux États-Unis. Parce qu’ils ont posé une bombe dans un immeuble et tué un innocent, les Pope fuient le FBI depuis des années. Le but ? Que la famille reste unie, quoi qu’il arrive. Leurs deux garçons se sont habitués à changer de nom, de couleur de cheveux, à laisser leur chien au bord de la route et leurs amis derrière eux. Ici se pose la question du choix : décider pour soi d’abandonner tout futur est une chose, mais quand un avenir différent s’ouvre devant votre fils aîné, cette hypothèse mérite qu’on s’y attarde… Ce film rapide et haletant ne donne raison ou tort à personne, mais à travers des personnages humains, tellement humains, il dissèque à quel point le secret grandit avec vous et en vous jusqu’à vous étouffer.

À bout de course de Sidney Lumet.

4. SECRET MYSTÉRIEUX

Travailler le secret jusqu’à le rendre incernable (et indiscernable du secret de fabrication de la mise en scène), c’est le propre des très grands films. Caché de Michael Haneke est de ceux-là. Cette histoire de harcèlement (cassettes vidéo, dessins d’enfant et coups de fil anonymes), dont on ignorera jusqu’au bout le « responsable », fait émerger une culpabilité ancienne, à la fois personnelle, familiale, politique et historique. Faire sentir et ressentir, gratter les plaies des hommes pour faire affleurer leurs âmes, Haneke n’a jamais fait que cela et ses histoires vont bien au-delà de ce qu’elle racontent à première vue. Dans Caché, les informations à la télévision charrient les épidémies et les guerres d’aujourd’hui, le mystère du film évoque celles d’hier et devient universel. Si personne n’est coupable, tout le monde est coupable…

Caché de Michael Haneke.

ÉPILOGUE

« Un jour un certain roi, riche et puissant, demanda à un poète : “De tout ce que je possède, que puis-je te donner ?”, celui-ci répondit avec sagesse : “N’importe quoi, Sire, sauf votre secret.” » Cette épigraphe à Monsieur Arkadin (Dossier secret) d’Orson Welles, peut s’appliquer à la fois au personnage, au film (ainsi qu’au premier long-métrage de son auteur, Citizen Kane), et au cinéma dans son entier. Moins on connaît les ficelles, plus belle est la magie…