Cinéma insulaire

Retour sur le 35ème festival Arte Mare

Du 7 au 14 octobre avait lieu à Bastia la 35ème édition du Festival Arte Mare. Une compétition de films méditerranéens, un focus sur le journalisme au cinéma, et surtout une sélection de films du territoire. Retour sur le plus corse des festivals de cinéma.

Il est difficile d’appréhender le Festival Arte Mare sans connaître l’histoire identitaire et culturelle de la Corse. Premier festival de cinéma de l’île, les origines d’Arte Mare remontent à la fin des années 1970, pendant la période dite du « Riaquistu », de la « réappropriation ». A l’image de la Révolution Tranquille québécoise, le Riaquistu a entraîné le développement de la fierté culturelle de l’identité corse. La langue corse s’est développée dans les Arts, au-delà des villages. On a commencé à réentendre des chants corses, à lire de la littérature insulaire. Et à défendre une cinématographie du territoire. En cette période de bouillonnement culturel, tout semblait possible. Michèle Corrotti, présidente d’Arte Mare, se souvient : « C’était désordonné, brouillon, mais c’était un âge d’or. On avait des centaines d’invités, venus de toute la méditerranée ». Car dès le départ, le festival se place sur le créneau du cinéma méditerranéen. Mais plus les années passent, plus arrivent les problèmes d’organisation, de financement. Le festival est interrompu une année, puis une autre.  Sous la mandature de Paul Giacobbi, certaines subventions disparaissent, entraînant avec elles les emplois du festival. « Le paradoxe, note Michèle Corrotti, est qu’année après année nous avons plus de spectateurs, mais nous sommes de plus en plus bénévoles. » A côté de ça, le festival Cinémed de Montpellier prend de l’ampleur, et devient le festival de film méditerranéen de référence.

Far from any road

Arte Mare doit alors changer son fusil d’épaule. La création d’une semaine gastronomique permet au festival de dégager des fonds propres, tandis que les subventions reviennent et se stabilisent peu à peu – sans pour autant égaler celles des premières années. Mais au niveau de la ligne éditoriale, difficile aujourd’hui de rester sur le même créneau que Cinémed. Si la compétition méditerranéenne reste encore présente, ce n’est plus ce qui fait l’essence du festival. Arte Mare est aujourd’hui d’abord un festival de film corse, voir un festival corse tout court – par ailleurs ouvert à d’autres formes d’art que le cinéma. En effet, Arte Mare décerne un prix littéraire, organise des résidences d’artistes… « On a essayé de faire beaucoup de choses, avec de grandes ambitions, mais c’est difficile d’en faire l’écho en dehors de la Corse », regrette Michèle Corrotti. « On a par exemple fait le premier concert en France du No Smoking Orchestra. Personne n’en a parlé. Quand ils ont joué en Bretagne, la presse nationale a titré « premier concert du No Smoking Orchestra en France » ! » Difficile d’être insulaire, même si Bastia est à une heure trente d’avion de Paris. « C’est surtout dans la tête des gens, précise Michèle Corrotti : Quand on va en Corse, on va loin ! »

Et pourtant, la Corse est une terre de cinéma – ou en tous cas de tournages. Au total, la collectivité territoriale a accueilli et soutenu une dizaine de films en 2016. Le Collectif Stanley White, à l’origine du film Une vie violente, a également dopé la création et la production locale.  « Il y a une vraie filière cinéma en Corse, ajoute Michèle Corrotti, avec une spécialisation à l’Université, des options cinéma en lycées, et il y a la Cinémathèque Corse à Porto-Vecchio… ». Une cinémathèque dont aimerait se rapprocher le Festival. « Ils ont et ont eu de très bons programmateurs, explique Michèle Corrotti. Mais depuis quelques années, avec le directeur, peu impliqué dans la programmation et le rayonnement de la cinémathèque nommé par Giaccobbi, c’était difficile de développer des partenariats ». Mais les choses devraient changer, puisqu’un nouveau directeur va bientôt être nommé. « Même si, nuance Michèle Corrotti, le principal problème de la Cinémathèque, c’est qu’elle est à Porto-Vecchio. On peut y faire une super programmation, personne à Bastia n’ira voir un film le soir à Porto-Vecchio ». Il faut dire qu’on compte presque trois heures de voiture – sur ces fameuses routes à flanc de falaise dont la réputation n’est plus à faire – pour relier Bastia et Porto-Vecchio. Et avec ses 10.000 habitants, la ville n’a pas le bassin de population pour faire vivre une Cinémathèque, qu’on aurait plutôt vue à Bastia, ou à Ajaccio. « Mais tout ça, c’est politique. Quand on a décidé de faire une cinémathèque corse, le président de l’Assemblée Corse était de Porto-Vecchio. Et il l’a voulait pour sa ville. Voilà » déplore Michèle Corrotti. C’est l’histoire de l’Île. « Le compagnonnisme a présidé à toute sorte de choix complétement stupides en Corse », rappelle la présidente du festival.

Magazine de cinéma - Festival Arte Mare - 35ème édition - Photo de Ilona Codaccioni

U riaquistu

Parmi les nombreuses compétitions du festival, la plus étonnante est peut-être la compétition de films corses – surtout si l’on n’est pas au fait de l’histoire du festival. D’autant qu’il n’est pas si facile de définir un film corse : tourné en Corse ? Par un Corse ? Reflétant l’identité et la culture corses ? « On a longtemps hésité au départ, confie Michèle Corrotti, qui rappelle que la compétition n’existe que depuis deux ans. Et ça pose un vrai problème : qu’est-ce qui est corse, et qu’est ce qui ne l’est pas ? Parce que c’est à la fois très évident d’être corse, et en même temps très problématique. Un vin corse, c’est facile, on regarde où pousse la vigne. Pour un film, c’est comme pour l’identité, c’est bien plus complexe ». Au final, pas de critères clairs, mais une sélection au cas par cas. Pour un pinzutu, un français du continent, difficile d’y comprendre quelque chose dans cette sélection où se côtoient un documentaire sur Danièle Arbid, un court-métrage d’animation et des films de maquis. Mais chacun d’entre-deux ont quelque chose de corse, difficilement définissable. Ainsi, Laissez bronzer les cadavres de Bruno Cattet et Hélène Forzani, bien que tourné sur l’Ile de Beauté, présenté au festival dans la sélection Panorama Corse, n’était pas assez corse pour rejoindre la compétition. Michèle Corrotti explique : « Bien sûr, la Corse est un écrin formidable, et de nombreux films qui nous viennent de l’extérieur [La France] sont soutenu par la collectivité territoriale. Mais ça ne suffit pas à faire d’eux des films corses. Sinon, on pourrait aussi dire que Star Wars est un grand film marocain… ». A bon entendeur.

Magazine de cinéma - Festival Arte Mare - 35ème édition - Photo de Novellart2B

Léa Maurizi (programmatrice), Marie Ferranti (Présidente du Jury Corse), Yolaine Lacolonge (Présidente du Jury des écoles de cinéma) et Michèle Corrotti

Lutte jeunesse

Une journée au festival permet de comprendre l’ambiance qui se dégage de cette manifestation particulière. Après un film, on s’installe à une table, déguste vin corse, fromage et charcuterie, ou un plat gastronomique d’un chef local, tout en écoutant un concert de chant corse, et avant de repartir voir un autre film. Rare sont les festivals où cette ambiance chaleureuse, presque familiale, est si forte. Rares sont les manifestations où se dégage une telle passion des bénévoles, organisateurs et festivaliers, pour le cinéma – certes – mais aussi et surtout, pour la culture locale, nationale, et pour ce festival en particulier. Une initiation à la culture corse « authentique » – non pas seulement parce que le fromage est bien affiné ou parce que le saucisson est un régal, mais parce que ceux qui portent le festival l’aiment profondément, sans rien attendre en retour, sinon de partager leur passion, leur culture. « Parfois, on se demande pourquoi on fait ça, confesse Michèle Corrotti. Tellement de temps et d’énergie investie, on a l’impression d’être des missionnaires. C’est absurde. Mais je crois qu’il y a aussi une forme d’addiction : on aime organiser ce festival, mais on a aussi besoin de le faire ». Il faut dire que dans ce genre de festival, on est dans l’esprit associatif, militant. De nombreux bénévoles sont âgés, habitués des luttes culturelles – certains post-soixantuitards. Mais les jeunes ne sont pas en reste,  à l’image de Léa Maurizi, la vingtaine, à l’origine de la compétition de films d’écoles – nouveauté de cette année. Néanmoins, Michèle Corrotti prévient : « Il va en falloir du renouvellement pour remplacer tous les durs à cuire qui tiennent le festival à bout de bras ». L’appel est lancé…

Point d’orgue du plus corse des festivals de cinéma, la projection de Lutte Jeunesse  de Thierry de Perretti, face B. de l’excellent Une vie violente, sorti récemment (et toujours à l’affiche au cinéma Le Régent de Bastia). Composé uniquement d’interviews réalisées lors des castings, Lutte Jeunesse est un témoignage brillant sur cette jeunesse engagée, identitaire, complexe, politisée, désillusionnée parfois, radicale souvent, et profondément corse, avant tout.  Et pourtant. Stanley White, producteur du film, ne voulait surtout pas le voir dans la compétition des films corses – mais uniquement dans la sélection méditerranéenne, plus prestigieuse. Pour eux, le terme de « Corse » est trop restrictif pour un cinéaste comme Thierry de Perretti. Cinéaste majeur certes, mais dont les films défendent pourtant avant tout une identité corse, et ne parlent que de la Corse. Mais la culture insulaire n’est plus à un paradoxe près, et Michèle Corrotti n’est pas surprise : « C’est toute l’ambiguïté des Corses eux-mêmes vis-à-vis de la Corse », résume-t-elle.