Le musée imaginaire

Rencontre avec Thomas Salvador

Thomas Salvador est réalisateur, scénariste, acteur, danseur, cascadeur devant sa propre caméra. Passionné de montagne et d’ornithologie, il s’est aussi, fut un temps, exercé à la magie. Son premier long-métrage Vincent n’a pas d’écailles nous a inspiré cette déambulation au travers d’images que nous lui avons soumises et qu’il nous a commentées. D’une inspiration, l’autre : promenade dans un musée imaginaire.


GEORGES MÉLIÈS

« C’est vrai que chez Méliès, il y a beaucoup de trucages, toute une exploration de ce que l’on peut faire avec l’image, au tournage ou en post-production. C’était pareil ensuite avec les burlesques qui exploraient tout ce qu’on pouvait faire avec les corps et l’utilisation des décors. Car pour moi, le burlesque, c’est l’inscription d’un corps dans un environnement, dans un décor, une société et une époque.

J’ai un rapport au cinéma qui est vraiment dans la fabrication. Ce qui m’excite, c’est de fabriquer, avec mes mains, en jouant dans mon film (alors que je ne joue pas chez d’autres). Pour Vincent, avant même qu’il y ait des personnages et une histoire, il y avait des dessins de systèmes d’élastiques, de câbles, de trampoline, que j’avais conçus. Mon envie de faire ce film réside autant là que dans l’histoire qu’il raconte. C’est ce que j’aime dans le cinéma, c’est ma culture. J’ai fait pas mal de magie, ça fait partie de mon envie de mise en scène. J’aime trouver des solutions à des problématiques. C’est ça, la magie : comment faire pour faire croire à quelque chose.

Il faut croire dans les pouvoirs du cinéma, en fait. A partir du moment où j’ai décidé de faire mon film, je n’avais pas d’autre choix que d’y croire. Le côté fantastique du film, je l’appréhendais comme un enfant qui joue et qui croit à son jeu. Quitte à prendre le risque que ça ne fonctionne pas. Quand on est dans la fabrication des choses, tout d’un coup, on oublie qu’on est en train de faire croire à l’existence d’un homme-dauphin ou poisson ! Il faut l’oublier, car si on doute, on fait les choses à moitié. »


LA DANSE / Henri Matisse

« J’aime beaucoup ce tableau. La première chose que je vois, c’est la fluidité et lemouvement. Il y a quelque chose de continu,malgré la discontinuité dans les mains des personnages. C’est aussi l’espace entre les deux mains qui crée le mouvement. Ce n’est pas bouclé. Dans les positions, il y a quelque chose de très composé, mais aussi d’instable qui crée une dynamique. De même que le fantastique doit se nourrir du réalisme qui l’environne, le mouvement n’existe que par opposition au statique. Le mouvement, c’est du déséquilibre. Le personnage de Vincent cherche un équilibre. Il cherche à se poser et à bouger, à être effacé et à être avec les autres. Il est en contradiction, il est humain ! Il n’est pas le même entre le début et la findu film, il a bougé. »


 

SPIDER-MAN / Sam Raimi

« C’est la seule référence consciente que j’aie eue au tournage. Et en même temps, je déteste les clins d’oeil. Donc pour moi, la référence ne fonctionne que si c’est une nécessité du récit. Évidemment, il n’y a aucune nécessité à ce que Lucie fasse le cochon pendu, mais c’est son personnage, c’est sa réaction à ce moment solennel et romantique où Vincent lui dit qu’il adore être avec elle. J’adore les Spider-Man de Sam Raimi. Je ne comprends pas qu’on refasse les mêmes films dix ans plus tard et je n’aime pas les nouvelles versions. Ce que j’adorais dans ces Spider-Man, c’était l’envie qu’il garde son secret et, en même temps, qu’il le dise à son amoureuse. Le point commun avec Vincent, c’est que ce n’est ni le secret absolu, ni la première page des journaux. Il le dit à qui il choisit. Dans Vincent, il y a beaucoup cette question du choix des gens à qui on peut dire des choses ou pas. »


 

MON ONCLE / Jacques Tati

« Ça, ça fait partie des films qui m’ont marqué très tôt, enfant. Mes parents m’ont emmené très jeune au cinéma. Le tout premier film que j’ai vu, c’était Fiancées en folie de Buster Keaton. Tati, je trouve ça complètement magique. Il y a du premier degré et comme pour Vincent, je ne crois pas qu’il y ait de second degré, de distance ou de recherche de connivence avec le spectateur. Tout est fait sérieusement, même si c’est drôle. Il y a une acuité sur le monde, les décors, les rapports humains qui passe par des choses ténues et qui crée un décalage. Il y a une attention aux détails qui est symptomatique d’un rapport au monde. Il y a ça aussi chez Keaton et même… chez Jackie Chan ! Dans ses séquences d’action, il prend vraiment en compte l’environnement et s’en sert pour s’échapper. Il y a une conscience de l’espace et donc du monde. Et chez Tati ou Keaton, le point de vue est celui du personnage. Donc on regarde le monde avec les yeux de Monsieur Hulot. Dans Vincent aussi, il n’y a rien qu’on ne découvre que Vincent n’ait pas vu (hormis le plan sur les gyrophares où l’on découvre les gendarmes, mais c’est un faux point de vue extérieur, car on est avec Vincent). Rien n’est utilitaire, il n’y a pas de hiérarchie, tout peut être observé et faire sens, parce qu’on prend le temps de regarder. Par exemple, la rencontre avec le renard n’est possible que parce que Vincent n’est pas pressé. Quand il est dans l’eau, il est entier, ouvert. »


 

BUSTER KEATON

« La photo est super. Il est à la fois vautré, au sol et digne. Il y a une dynamique, parce qu’il y a plusieurs choses à la fois. Il fait souvent ça. Dans Le Caméraman, il rate le bus, il court, saute et s’assoit sur le garde-roue et comme il est dans un endroit décalé, qu’il est discret et veut s’intégrer toujours, il adopte une posture naturelle. C’est ça qui est génial. »


 

ROBERT-HOUDIN

« C’est la même posture que Keaton, avec une incongruité. Là, on n’est plus dans l’illusion et la fabrication. Comment raconter cette histoire avec les moyens dont on dispose ? C’est ça, le cinéma. C’est important de ne pas oublier les moyens dont on dispose. La magie, j’en ai fait longtemps. Je n’aimais pas la grande illusion, les grandes machineries et les grandes scènes. Moi, j’aime le côté très simple des objets, les tours de cartes surtout. C’est du travail, de la perspective. J’aimais aussi faire des choses avec des objets du quotidien. C’est aussi pour ça que j’aime Carpenter ou Cronenberg, où il y a des choses ancrées dans notre réel. La magie, c’est l’illusion, mais on joue à y croire. »


 

LA MOUCHE / David Cronenberg

« C’est un film magnifique. Ce moment est génial. Il y a la nudité, la position foetale, sans que ce soit démonstratif. C’est un blockbuster que j’ai vu, ado, à sa sortie. Ce film est d’une richesse infinie. L’histoire d’amour est hyper belle. En plus, chez Cronenberg, il y a énormément d’ellipses, il n’y a pas de dialogues où on va expliquer pourquoi on est amoureux, pourtant le film est poignant, déchirant. C’est, pour moi, un modèle d’économie dans la narration. Et il y a le rapport au concret, à la fabrication. Cronenberg a aussi privilégié une créature dont on sent le latex et les collures, mais que l’héroïne peut vraiment toucher. C’est un cinéaste que j’aime énormément. En plus, il n’y a pas d’effets de manches, pas de volonté de nous faire à tout prix aimer les personnages. Il y a quelque chose de très imposé sans être imposant. »


 

KING KONG / Ernest B. Schoedsack, Merian C. Cooper

« J’adore ça. C’est un film très tendre, King Kong. L’image par image à l’époque, ce n’était pas très fluide, mais on y croit, on a peur, on l’aime et ça fonctionne. Le côté brut, qu’on retrouve chez Cronenberg aussi, n’est pas gênant, parce qu’on y croit. Pour mes cascades, je donnais souvent l’exemple de films de Tsui Hark, comme Il était une fois en Chine avec Jet Li, il y a plein de moments où les personnages grimpent et où l’on voit les câbles, parce qu’il était compliqué de les effacer à l’époque. Mais ces câbles aident simplement et ne font pas l’action, et ce n’est pas gênant, parce que l’acteur est vraiment là, qu’il a une énergie, une dynamique,un langage corporel et on y croit ! Ce sont des conquérants de l’imaginaire ! »


 

JE T’AIME, JE T’AIME – Alain Resnais

« C’est un de mes films préférés. Je ressentis une grande émotion en le voyant. Dans le choix des acteurs, dans le montage, dans les décors,il y a une immense douceur que j’adore voir au cinéma, comme chez Wes Anderson, par exemple. Dans Je t’aime, je t’aime, il y a ce côté « Et si on jouait à être dans le cerveau ?! » que j’adore. »


L’INVENTION COLLECTIVE – René Magritte

« C’est beau, parce que c’est très simple. C’est juste posé. Ça dit plein de choses, mais il n’y a pas de volonté de sens. Ça me fait penser à la question du premier degré. J’aime les cinéastes qui sont dans un premier degré, concentrés sur leur récit, leurs personnages et évidemment, ensuite ça parle d’autre chose. Mais si, en faisant un film, on pense au second ou troisième degré, souvent on se prive du premier degré. En fait, ça marche dans un sens, mais pas dans l’autre. Si on arrive à susciter des choses très simples, ça permet une réflexion (ou pas, car ce n’est pas une obligation). Chez Magritte, c’est hyper fort. Ça crée dix mille images mentales, pourtant, c’est d’une grande simplicité, d’une grande frontalité. »