Science-fiction, philosophie et amour

Rencontre avec Kiyoshi Kurosawa, réalisateur de Avant que nous disparaissions

Présenté dans la section Un Certain Regard au Festival de Cannes en 2017, Avant que nous disparaissions est une nouvelle et surprenante incursion de Kiyoshi Kurosawa dans le cinéma de genre. Ici, le réalisateur de Cure joue très intelligemment avec les codes de la science-fiction pour signer une fable philosophique, tantôt drôle, tantôt effrayante, et surtout, empreinte d’une grande mélancolie. Nous avions rencontré l’auteur à Cannes, qui évoquait avec nous les origines de ce projet et son approche de la mise en scène.

 
Avez-vous voulu tourner un film de science-fiction philosophique ?

Merci, c’est plutôt un compliment pour moi, mais le mérite ne me revient pas. Le film est adapté d’une pièce de théâtre, qui elle-même avait été écrite comme une forme de parodie de film de science-fiction. Il y avait déjà dans la pièce des éléments extrêmement cinématographiques qui en facilitaient l’adaptation. Les éléments philosophiques étaient déjà présents, et m’ont donné envie de l’adapter. Et, selon moi, l’autre aspect intéressant de la pièce, c’est que, contrairement à des œuvres plus orthodoxes, je trouvais que les extraterrestres ne sont pas si différents des êtres humains. Ils ne manipulent pas les hommes pour les changer radicalement, mais exploitent un potentiel qu’ils possèdent déjà. C’est à mon avis l’audace de ce sujet.

Cette ambiguïté rappelle L’Invasion des profanateurs de Don Siegel. Le film vous a-t-il inspiré ?

J’imagine que cela peut l’évoquer. C’est évidemment un film que j’aime beaucoup et qui est pour moi représentatif de ce genre. Mais je ne me suis pas inspiré d’une seule œuvre en particulier, j’ai vu un certain nombre de films et je possède un terreau culturel dans ce registre qui a influencé le film.

Le mélange des genres pourrait donner un patchwork, mais la mise en scène très précise rend le tout cohérent. Comment avez-vous envisagé cela ?

Merci beaucoup. C’était ma volonté. Dans la pièce originale, l’aspect humoristique est très fort et j’avais envie de le restituer au moment de l’adaptation. Ça m’a demandé du travail, car c’est difficile de faire rire le spectateur tout en restant dans un cadre assez tenu. Le film représentait vraiment un défi à ce niveau-là.

C’était plutôt un travail d’écriture, de réalisation, de montage, de direction d’acteurs ?

Évidemment, j’ai fait attention à cette notion du rire à toutes les étapes de fabrication du film. Et peut-être plus particulièrement au niveau de l’écriture. J’ai ajouté un aspect qui n’existait pas dans la pièce originale : l’idée d’avoir un méchant qui ne soit pas vraiment ténébreux, mais plutôt quelqu’un qui soit un peu léger, assez décalé, ce qui permettait de prendre un peu de distance, car le sujet du film est quand même assez tragique. J’avais envie de faire un pas en arrière, pour pouvoir instaurer la bonne distance. Le personnage qui m’a permis de le faire est l’agent du gouvernement (qui finit par être contrôlé par les extraterrestres), grâce à l’excellente interprétation de Takashi Sasano.

Avant que nous disparaissions de Kiyoshi Kurosawa. Copyright 2017 BEFORE WE VANISH FILM PARTNERS.
La scène de l’attaque de l’avion, qui pourrait rappeler La Mort aux trousses, est beaucoup moins découpée et contient un plan très long, avec des effets spéciaux. La scène a-t-elle été compliquée à tourner ?

C’est un film à petit budget, mais plus important que ceux auxquels je suis habitué. J’en ai profité pour m’essayer à une scène de combat un peu plus spectaculaire. Elle n’existait évidemment pas dans la pièce de théâtre. L’avion est en images de synthèse, mais les explosions sont réelles. C’est aussi un hommage de ma part à La Guerre des mondes, de H.G. Welles, où une scène similaire existe.

Vous utilisez le CinemaScope pour des films intimistes, le paradoxe est intéressant.

C’est vrai qu’on a tendance à penser que le CinemaScope sert à filmer des grands espaces ouverts, alors que je pense que filmer un espace clos dans ce format-là, ça permet vraiment de brouiller la perception de l’espace. C’est étroit et en même temps on ne sait pas jusqu’où ça va. Ce décalage-là est assez intéressant et c’est ce que je suis en train d’expérimenter.

Dans Creepy et Avant que nous disparaissions, on trouve un trajet en voiture assez onirique. Est-ce un clin d’œil ?

C’est votre remarque qui m’y fait penser. Mais maintenant que vous me le dites, il y a des similitudes entre les deux films et la scène de la voiture est une scène de transition. Dans les deux films, les personnages principaux essaient de défendre un quotidien qui a tendance à leur échapper, à se déliter. Ils prennent la voiture pour aller vers une nouvelle réalité. En tout cas, ils quittent ce qui leur appartenait jusque-là pour se diriger dans un ailleurs qui n’est pas encore vraiment établi. C’est pour cela qu’ils se promènent dans des paysages qu’on a du mal à définir, que la lumière est peut-être aussi particulière.

Comme le dit l’héroïne, la fin d’une histoire d’amour est-elle la fin du monde ?

C’est peut-être une réponse qui va vous paraître un peu simpliste, mais de mon point de vue, le monde n’existerait pas sans amour, et donc la fin de l’amour peut signifier la fin du monde.