Le goût du détail

Entretien avec Jérôme Bonnell, scénariste, réalisateur

C’est l’histoire d’un couple qui se trompe avec la même personne. Un néo-vaudeville en bord de mer, filmé sous le ciel nordique, dans la région de Lille. Charlotte (Sophie Verbeeck) et Micha (Félix Moati) forment un jeune couple heureux, mais chacun entretient, en secret, une liaison avec la ravissante Mélodie (Anaïs Demoustier). Sur la base de cet argument, Jérôme Bonnell compose une mélodie en mode mineur. Le romanesque et le trivial se font la courte échelle ; la comédie et le drame leur emboîtent le pas. Il y a de la grâce et du scintillement dans ce film aux notes joueuses et aux couleurs chatoyantes, une joie de vivre et d’aimer qui nous a souri (Bande a part est partenaire du film). Promenade au cœur de À trois on y va, de détail en détail…

À trois, on y va de Jérôme Bonnell : détails du film en illustration © Timothée Lestradet

À trois, on y va de Jérôme Bonnell : détails du film en illustration : bretelle de sooutien-gorge © Timothée Lestradet

La bretelle de soutien-gorge qui tombe

« C’est un hasard de tournage que j’accueille volontiers, car c’est très joli, une bretelle de soutien-gorge qui tombe de l’épaule. »

À trois, on y va de Jérôme Bonnell : détails du film en illustration : culotte turquoise © Timothée Lestradet

La culotte turquoise

« Je sais qu’on l’a choisie pour qu’on s’en souvienne. Il fallait qu’elle ne soit ni noire, ni blanche et que ce soit visuel. Je suppose qu’Anaïs a eu son mot à dire pour qu’elle se sente bien. Ces questions très concrètes, on se les pose sur les tournages : on a envie que les acteurs se sentent à l’aise. Demander à une actrice de se promener en culotte sur les toits, c’est tout de même singulier et c’est un cadeau qu’elle nous fait. Il faut mettre du soin dans tout ça et on a donc essayé d’être aussi délicat que possible. Anaïs a surtout été hyper vaillante et généreuse… »

À trois, on y va de Jérôme Bonnell : détails du film en illustration : téléphone turquoise © Timothée Lestradet

Le bleu turquoise du portable

« On voulait éviter d’avoir des téléphones trop modernes ou de marques trop apparentes. En plus, il n’y a rien de plus emmerdant à filmer que des SMS, mais il fallait bien que je m’y colle, parce que la vie est comme ça aujourd’hui, et en même temps, dans la vie, j’avoue que je suis parfois ému par certains SMS que j’écris ou que je peux recevoir, car c’est une façon de communiquer un peu inédite. Or parfois, on peut se dire des choses qu’on n’oserait pas se dire en vrai ou au téléphone. Le SMS est une chose immédiate et qui désinhibe en fait, donc ça peut être beau. Et en même temps, c’est une tannée à filmer. Sur le tournage, filmer un insert d’un écran de portable nécessite une mise au point un peu longue à faire et c’est un temps mort sur un tournage. Pour l’anecdote, Anaïs Demoustier détestait ce téléphone qui marchait seulement quand il le voulait. C’était un choix pourri dès le départ et elle l’a trimballé comme un boulet pendant tout le film ! C’était une sorte d’accessoire un peu ennemi. »

À trois, on y va de Jérôme Bonnell : détails du film en illustration : frange © Timothée Lestradet

La frange d’Anaïs

« Elle disparaît à un moment du film. Elle est là, beaucoup, puis à un moment donné, on dégage son front, puis elle retrouve sa frange. C’est une idée qu’on a eue sur le tournage, Anaïs Demoustier, le coiffeur Franck-Pascal Alquinet et moi. Parce qu’il y a chez ce personnage un aspect très juvénile, encore un pied dans l’enfance et l’autre dans un monde de travail très structuré, presque trop grand pour son jeune âge. Autant elle fait preuve de beaucoup d’aplomb dans son travail, autant dans sa vie privée, elle est instable et presque immature sur le plan sentimental. C’est une dualité qui me plaisait bien. Et sa petite frange, c’est vrai, la rajeunit et souligne son regard. »

À trois, on y va de Jérôme Bonnell : détails du film en illustration : citation de Marilyn Monroe © Timothée Lestradet

La citation de Marilyn Monroe

« Ce qui me touche dans cette phrase écrite par Marilyn Monroe, c’est que ça en dit long sur la tristesse du personnage et, éventuellement, sur son incapacité à aimer qui est opaque et insondable. Ce qui me touche dans le personnage de Charlotte, jouée par Sophie Verbeeck, c’est qu’elle est floue, c’est son flou qui est d’ailleurs le moteur de toute l’histoire. Si elle n’était pas si floue avec son petit ami et avec sa maîtresse, il n’y aurait pas de film ! C’est elle qui favorise le dépit chez les autres et de ce dépit partagé va naître de l’amour. Ils vont tomber amoureux l’un de l’autre sans être complices du mensonge. Mais avec Marilyn Monroe, on pense tout de suite à quelqu’un de triste, de très beau et d’absolument irrésistible. »

À trois, on y va de Jérôme Bonnell : détails du film en illustration : queue de cheval © Timothée Lestradet

La queue de cheval

« Sophie en a de temps en temps, mais c’est surtout Anaïs dans le film. On s’est dit que c’était idéal pour travailler, pour son métier d’avocate, il fallait qu’elle puisse nouer ses cheveux. Et en même temps, c’était joli. Et dès qu’il y a une occasion de voir la nuque, moi, ça me fait toujours plaisir, je n’y résiste pas. »

À trois, on y va de Jérôme Bonnell : détails du film en illustration : vernis corail © Timothée Lestradet

Le vernis corail

« Je sais que ce n’est pas la couleur que je préfère. Moi, j’avais choisi un rouge un peu passé, un peu coquelicot, sauf que c’était un mauvais choix de ma part, parce qu’à l’écran, il paraissait orange et je ne voulais surtout pas d’orange. Je ne suis pas fou de ce vernis, j’aurais dû assumer le rouge vif. Car le rouge vif est plus ami avec la caméra que l’orange. Dès qu’une couleur s’apparente un peu à la peau humaine, comme l’orange ou le rose, ça n’est jamais très joli à l’image. Le rouge, c’est aussi la brique de Lille et du Nord, et on en trouve des échos dans les costumes, dans le T-shirt beige d’Anaïs au début du film. On a tourné à Lille et à Roubaix, il y a donc de la brique devant nos yeux. Félix porte un T-shirt rouille aussi. Est-ce un hasard qui n’en est pas un ? En tout cas, j’ai aimé filmer Lille. C’était écrit dès le scénario. C’était une vraie volonté, d’autant que la Région Nord ne nous a pas donné d’argent. J’aime bien, parce que ce n’est pas une ville profondément française. C’est une ville un peu anglaise, un peu belge, un peu plein de choses en même temps. C’est très chaleureux, le Nord. »

À trois, on y va de Jérôme Bonnell : détails du film en illustration : numéro 39 rue © Timothée Lestradet

Le numéro 39 sur la façade de la maison

« C’est le vrai numéro de la rue où l’on a tourné, dans cette maison qu’on a trouvée en repérage, idéale pour le film. C’est une maison à Roubaix. Et la référence, peut-être inconsciente, aux 39 Marches de Hitchcock, ça me va, c’est un film que j’adore ! »

À trois, on y va de Jérôme Bonnell : détails du film en illustration : tatouages © Timothée Lestradet

Les tatouages

« Félix Moati et Sophie Verbeeck ont des tatouages dans la vie. J’aurais pu choisir de les maquiller pour les faire disparaître, mais j’ai décidé de les conserver à l’image. Félix a « Amok » écrit sur l’épaule et Sophie, c’est un S en forme de serpent. J’aime bien l’idée que derrière les personnages, les acteurs viennent avec ce qu’ils sont, j’aime filmer cette rencontre, ce point de jonction entre un être fictif, un acteur et aussi un peu moi, parce qu’on se raconte tous un peu les uns, les autres. »

À trois, on y va de Jérôme Bonnell : détails du film en illustration : chaussettes trouées © Timothée Lestradet

Les chaussettes trouées « tue l’amour »

« J’ai déjà entendu ça, moi, et j’ai toujours fait attention à ne pas être en chaussettes trouées devant les filles ! Je sais à quel point je peux ne pas m’en rendre compte et m’en foutre, et à quel point ça peut être rédhibitoire de leur point de vue ! J’avais envie de le mettre dans le film ».

À trois, on y va de Jérôme Bonnell : détails du film en illustration : chat noir © Timothée Lestradet

Le chat noir qui traverse la rue

« Ça, c’est un hasard, un cadeau du tournage. J’adore ! Il y a longtemps que je rêve de filmer un chat par hasard. Et c’est chose faite. J’étais fou de joie ! »

À trois, on y va de Jérôme Bonnell : détails du film en illustration : citation de Mélodie © Timothée Lestradet

La citation de Mélodie

« C’est-à-dire que, tout d’un coup, le personnage joué par Félix Moati se rend compte à quel point le personnage d’Anaïs Demoustier ment bien, il lui dit : « Tu es diabolique » et elle répond : « Je n’ai aucune envie d’être diabolique, c’est la vie qui est diabolique ». C’est là où Anaïs est merveilleuse : elle joue un personnage qui ment tout le temps, parce qu’elle aime. Elle ment donc aux deux autres, tout en étant complice du mensonge des deux, ce qui est vertigineux. Là où elle est géniale, c’est qu’elle arrive à jouer ça sans jamais tomber dans la fourberie ou la perversité et je peux vous dire que la frontière est hyper fine. À la fois, on a peur qu’elle soit démasquée et en même temps, on se réjouit de ce mensonge, car c’est un terrain de drôlerie et de tension. Elle est tout le temps sur le fil, dans la profondeur des sentiments. Je tenais à ça, je ne voulais surtout pas tomber dans un jeu de manipulation, surtout pas. Ce qui m’intéressait, c’était avant tout que ce soit un film sur aimer, souffrir d’aimer et sur la liberté d’aimer. »

À trois, on y va de Jérôme Bonnell : détails du film en illustration : ballerines marron © Timothée Lestradet

Les ballerines marron

« Je les aime bien, parce qu’elles sont un peu moches ! Et j’aime bien que le personnage d’Anaïs change de chaussures en arrivant au tribunal. Elle va au vestiaire, elle enlève ses chaussures rouges à grands talons qui lui donnent parfois des difficultés pour marcher, et elle chausse ses ballerines moches. C’est un détail que j’ai observé en me rendant aux audiences correctionnelles : une majorité d’avocates portent des ballerines sous leur robe. Je ne sais pas pourquoi, mais je savais, en revanche, qu’il fallait que ce soit dans le film. »

À trois, on y va de Jérôme Bonnell : détails du film en illustration : crotte © Timothée Lestradet

La crotte de chien

« Les crottes de chien, c’est la vie aussi ! C’est rigolo, car c’était la première scène que tournait Félix Moati. On a commencé le tournage par ça, en espérant que ça nous porte bonheur ! »