Paroles et musique

Entretien avec Guillaume Gouix, comédien

Attila Marcel, le premier film en prises de vues réelles de Sylvain Chomet (Les Triplettes de Belleville, L’Illusionniste), plonge dans la tête d’un pianiste muet, traumatisé par l’absence de son père. Guillaume Gouix et Attila Marcel se sont bien trouvés : l’acteur est aussi attachant et singulier dans ses choix (Jimmy Rivière, Poupoupidou, Hors les murs…) que ce conte doux-amer.

Vous tenez deux rôles dans Attila Marcel, Paul et son père, catcheur dont le surnom donne le titre au film. Ils sont à l’opposé l’un de l’autre. L’un est muet, corseté dans ses costumes, l’autre est bravache et tous muscles dehors. Comment passe-t-on de l’un à l’autre ?

Attila, c’est l’obsession de Paul, et sans doute aussi celle du film. Je ne me suis pas posé la question de savoir comment jouer ces deux rôles. A aucun moment, je n’ai vu ça comme une performance. Pour Paul, je ne pensais qu’à son côté bloqué, ses carcans. Je voulais qu’on sente qu’il est nécessaire pour lui que tout cela explose. Le reste, ce sont des éléments amenés par Sylvain : les cheveux longs et les muscles apparents pour Attila, la raie sur le côté et les costumes pour Paul. Rien que le fait qu’il m’ait demandé de porter des vêtements étriqués, alors que je suis plutôt costaud, était signe qu’il avait déjà une idée claire et précise de ce personnage. Il n’y avait de toute façon pas de place pour l’egotrip d’un comédien ; Attila Marcel est avant tout un film d’équipe construit autour de l’univers de Sylvain.

D’où l’absence de rôle principal : Attila Marcel navigue entre tous ses personnages...

Le rôle principal, c’est Sylvain ! Je sais qu’il n’est pas d’accord avec ça, mais c’est la première fois que je me sens invité dans un film : ce mec m’a dit « Viens chez moi voir comment c’est ». Et je m’y suis senti comme un gosse, avec des yeux grands ouverts sur tout.

C’est d’ailleurs un film intimement lié à l’enfance…

Mais Sylvain est un grand enfant : tout l’amuse, il n’est blasé de rien.

Y compris - chose rare au cinéma - dans ses zones sombres. Ce n’est pas un film angélique…

Il y avait déjà ce sentiment dans ses dessins animés : à la fois un imaginaire très puissant et quelque chose de très ancré dans le quotidien réaliste. Attila Marcel, c’est comme si Jean-Pierre Jeunet réalisait un sujet pour Strip-tease ! Sylvain n’a pas peur de parler des névroses, tout en conservant une apparente légèreté, par l’environnement ou les couleurs…

C’est le premier film dans lequel vous tournez qui soit aussi stylisé. Comment un acteur trouve t-il sa place au sein d’un univers aussi visuel ?

Tout influe sur le jeu dans ce type de film, mais avec le même effet que quand on est gosse et qu’on décide d’être un cow-boy, il suffit de chevaucher un bout de bois pour qu’on se croie sur un cheval. L’intérêt avec des univers formels forts comme celui-ci, c’est qu’il oblige un acteur à mettre son ego de côté. Ce n’était pas à moi de produire la mise en scène de Sylvain.

Attila Marcel repose aussi sur du burlesque. Or ce registre induit une grande présence physique de la part des acteurs. A plus forte raison, dans le cas d’un rôle muet…

Je ne vais pas dire que je n’ai pas bossé non plus! Mais l’imaginaire de Sylvain m’a beaucoup aidé. Rien, par exemple, que le look, les costumes qu’il imaginait pour Paul, avaient un impact immédiat : quand on porte une raie bien marquée sur le côté ou un costume trop petit, la démarche se modifie inconsciemment. Le plus compliqué à trouver pour incarner Paul, et ça a justement à voir avec le burlesque, c’est sa tristesse. Et comme il est muet, ma plus grande peur, c’était d’en faire trop. Sylvain m’a vite mis à l’aise avec ça, en me disant qu’on n’allait pas faire Forrest Gump.

Dans le même temps, n’est-il pas frustrant de tenir un rôle muet dans un film aussi musical, doté de scènes chantées et de dialogues qui swinguent ?

Non. Au contraire, cette musicalité associée à l’univers visuel du film faisait que je me retrouvais en position de premier spectateur d’un film en train de se faire. Les scènes avec Anne Le Ny étaient jouées comme s’il y avait un échange dialogué entre nous, à la différence près que je lui répondais avec les yeux. Pour la préparation, Sylvain m’a beaucoup fait écouter les thèmes, écrits à l’avance, que joue Paul au piano dans le film. En fait, chaque personnage a le sien, qui le définit. D’ailleurs, toute la musique est basée sur un rythme à trois temps, quels que soient les registres des morceaux. Le générique doit être le premier morceau à trois temps de l’histoire du disco !

Cette idée de décalage se retrouve souvent dans votre filmographie. Les Revenants marie le fantastique et le social, Poupoupidou, Mobile Home ou Hors les murs basculent de la comédie vers le tragique ou le mélancolique...

Bizarrement, je me fous complètement du genre des films que je fais. C’est la personnalité du réalisateur qui m’intéresse. Si je crois en elle, que ce soit pour un thriller ou une franche comédie, ça me va. J’aime qu’un réalisateur me demande de passer deux mois dans sa tête. Et si en plus il m’intéresse, j’y vais les yeux fermés.

Et quand le réalisateur en question est... Guillaume Gouix - vous avez dirigé un court-métrage, Alexei Ivanovitch, vous êtes mon héros - comment cela se passe-t-il ?

Ben là, c’est exactement l’inverse. Dans ce cas, ce qui m’intéresse, ce sont les autres, comment avec leur distance et leur rapport à moi, ils vont raconter mon univers. Un film sans confrontation, ce n’est jamais intéressant.

Ce court-métrage parlait en filigrane de l’identité masculine, de rapport à la confiance en soi et aux autres. Un questionnement récurrent dans certains des films où vous avez joué, de Jimmy Rivière à Attila Marcel...

Je sais que c’est là, et en même temps je ne me pose pas vraiment la question. Je suis moins névrosé que mes personnages ! En revanche, c’est quelque chose qui est passionnant à jouer, à composer, parce que dans la réalité, on n’est jamais vraiment arrivé, on cherche toujours sa place. J’avais mis dans mon court une phrase de Joumana Haddad : « Je ne cherche pas un un but, mais le plaisir de ne jamais y arriver ».

Cette phrase résonne avec votre carrière : vu de l’extérieur, depuis quelques années, on parle de vous comme «une valeur montante», alors que vous avez déjà tenu plusieurs premiers rôles. Un peu comme si vous teniez à une certaine discrétion.

J’ai l’impression que c’est important pour l’imaginaire des films. La surexposition médiatique mène, je crois, à un moment où les gens n’y croient plus, voient l’acteur plus que le rôle. Il faut préserver un minimum de mystère. Ça ne veut pas dire être mystérieux pour être mystérieux. Je fais de la presse quand un film sort, mais quand on me propose de faire certaines émissions en dehors de ce contexte, généralement, je refuse. Non seulement, je n’aime pas trop ça, mais surtout, je ne suis pas sûr d’avoir autre chose à dire que ce qui concerne mon travail de comédien.

Dès lors, qu’évoque pour vous l’idée d’être populaire ou de faire des films populaires ?

Populaire, pour moi, c’est au bon sens du terme : qui parle aux gens, qui n’est pas élitiste. Aujourd’hui, on a le sentiment que c’est devenu péjoratif, que ça signifie « sans qualité ». Surtout en ce qui concerne le cinéma, où une partie du milieu comme de la presse pense qu’elle fait la pluie et le beau temps, décrète le goût des gens, ce qu’ils doivent voir ou aimer. Sauf que le Marais, ce n’est pas la France. Populaire, c’est justement l’inverse; c’est s’adresser à tout le monde, sans forcément brosser dans le sens du poil. Attila Marcel est un film qui va dans ce sens. Il n’est pas forcément sur des rails, il est atypique, mais accessible par tous, tout en restant personnel. Je sais qu’on va forcément le réduire à une comparaison avec Jeunet ou Gondry à cause d’un univers fantasmagorique ou d’un certain rapport à l’artifice, mais au moins c’est un film qui fait voyager, qui emmène ailleurs. Et qui n’est pas putassier, parce qu’il est fidèle à ce que Sylvain est. Du coup, je trouve que c’est un film populaire, parce qu’il est sincère et, même si certains trouveront ça paradoxal, c’est un film profondément humble.

Interview réalisée par Alex Masson