Ciné-refuge

Conversation avec Edouard Waintrop

Edouard Waintrop est le délégué général de la Quinzaine des Réalisateurs depuis 2012 et a insufflé à cette section parallèle du Festival de Cannes, défricheuse de grands talents depuis sa création en mai 1968, une énergie nouvelle, une convivialité enthousiaste. Cette année, sur les 1500 longs-métrages visionnés par le comité de sélection, 17 seront présentés, donc ceux de John Boorman, Frederick Wiseman ou Céline Sciamma.

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Quelle lecture personnelle faites-vous de l’affiche de la Quinzaine cette année ?

L’écran de cinéma a toujours été une voie de fuite pour moi. Je me réfugie depuis tout jeune au cinéma, retrouver Kirk Douglas sur la trace de la Captive aux yeux clairs, John Wayne et sa Prisonnière du désert… Le cinéma a toujours été pour moi un moyen de m’échapper du quotidien. Même le néo-réalisme ou le réalisme au cinéma me fait penser à autre chose qu’à mes propres problèmes. D’ailleurs, comme je déteste m’occuper de mes propres problèmes, je lis beaucoup, je vois beaucoup de films et j’écoute beaucoup la radio, et tout ça m’intéresse beaucoup plus que ma propre vie. Donc ce geste d’entrer dans l’écran et de s’évader est fondamental pour moi.

Où vous asseyez-vous au cinéma ?

Toujours dans les premiers rangs. J’ai besoin d’être « dedans ».

N’y a-t-il pas un plaisir à retrouver certaines saveurs de l’existence au sortir d’un film ? La Part des anges de Ken Loach a donné l’envie à plus d’un de savourer un whisky en retrouvant la lumière du jour !

Bien sûr. En sortant de La Part des anges, je suis allé très vite goûter un single malt, un whisky assez rare que je suis exprès allé chercher dans un endroit tout aussi rare, à Genève. Il y a des films qui donnent vraiment envie de faire ce qu’il y a à l’écran. Moi, j’ai une grande nostalgie de l’Amérique d’avant la Guerre de Sécession, celle des années 1804-1845, de celle de Lewis et Clark qui remontent le Missouri, où on allait à travers les terres indiennes en risquant de se faire scalper, avant les guerres indiennes où les gens les plus intelligents se conformaient aux usages des Indiens. Je n’ai jamais guéri de cette mélancolie-là.

Il y a aussi, à la Quinzaine, l’idée de la contrebande. Dans quelle mesure vous sourit-elle à vous, personnellement ?

La Quinzaine est venue initialement pour contrer la bande qu’était le festival officiel, à l’époque où les sélections étaient faites avec l’aide des ambassades et des ministères de la culture des autres pays. Avec l’arrivée de Gilles Jacob, ça a changé. Mais on reste la section de contrebande par excellence. Celle qui n’a pratiquement aucune contrainte et qui n’obéit pas à d’autres impératifs que ceux qu’elle se définit elle-même, soit, en gros : essayer de trouver les meilleurs films, de faire résonner le monde à travers l’écran de cinéma et de faire que les gens s’évadent à travers cet écran.

Quelles sont les sources de surprise dans votre sélection cette année ?

Vous allez pouvoir découvrir l’humour très particulier de Bruno Dumont avec sa série P’tit Quinquin ! Ce qui est formidable, c’est que sur les quatre réalisateurs confirmés que nous avons sélectionnés, il y en a deux qui font dans le merveilleux – Frederick Wiseman avec son film sur la National Gallery et Isao Takahata avec Le Conte de la Princesse Kaguya qui est née sur un bambou magique –, et deux qui font dans l’humour roboratif : John Boorman et sa suite de Open Glory, Queen and Country et Bruno Dumont qui se lâche complètement avec P’tit Quinquin. Là, on a l’impression de faire notre office sans aucune mesure, parce qu’on passe un documentaire de trois heures à un film d’animation japonais, une série de quatre épisodes à la suite, soit trois heures vingt de projection pour le film de Dumont qui passera ensuite sur Arte. Quant à John Boorman, ce que j’aime dans sa filmographie, c’est quand il manie l’humour.

Portrait de Edouard Waintrop © Quinzaine des réalisateurs

Par bien des aspects, la couleur générale est plus sombre que l’année dernière.

Edouard Waintrop
L’humour qui, depuis votre arrivée à la tête de la Quinzaine, a redonné des couleurs à cette section et est presque devenu une marque de fabrique…

Oui, mais cette année, on a eu du mal. Heureusement qu’on a eu Bruno Dumont ! Et heureusement qu’on a quelques films noirs, car dans certains, l’humour s’y trouve aussi, étonnamment. Les Combattants de Thomas Cailley, par exemple, malgré son titre, est une comédie sentimentale par certains aspects et on s’y sent formidablement bien. C’est un film rare et qui ne correspond pas à la comédie classique. L’année dernière, si j’avais pu, j’aurais aimé avoir 9 mois ferme d’Albert Dupontel. C’était un film pour nous, mais on ne nous l’a pas proposé, donc on ne l’a pas eu. Cette année, les comédies sont plus en oblique que frontales.

Le contraste demeure dans votre sélection. Quelle tonalité globale, cette année ?

Par bien des aspects, la couleur générale est plus sombre que l’année dernière. Mais il y a tout de même beaucoup d’humour, même dans certains thrillers. Un film comme Cold in July de Jim Mickle débute comme Cape Fear, avec une tonalité assez noire, puis part en semi-délire à la Tarantino. C’est assez étonnant. Pareil pour notre film coréen qui est un polar jubilatoire qui joue avec le spectateur et les rebondissements. C’est moins de film à film, mais dans les films eux-mêmes qu’il va y avoir des contrastes.

De ce que vous avez pu voir du cinéma mondial cette année, que diriez-vous de la santé du cinéma dans sa globalité ?

J’y ai vu beaucoup de pessimisme, beaucoup de choses atroces y sont montrées. Quand ça passe par le polar, ces choses atroces passent par la médiation du genre, c’est suggéré, mais ça n’empêche que ça reste noir. Jean-Patrick Manchette disait que le roman noir était un genre de crise qui était né après l’échec des mouvements révolutionnaires du début du XXe siècle ; on peut dire qu’au regard de ce qui se passe dans le monde, ce n’est pas très étonnant qu’on ait autant de films policiers, de vision noire du monde en ce moment dans le cinéma mondial. Heureusement, il n’y a pas que ça !

L’esprit de bande, c’est la déconne et je suis assez fort là-dessus !

Edouard Waintrop
Parmi les films que vous avez découverts, certains vous habitent-ils encore ?

Tous ! Y compris les deux qui sont partis en compétition officielle ! Le nouveau film d’Alice Rohrwacher – qui était à la Quinzaine il y a deux ans avec Corpo Celeste – Les Merveilles porte bien son titre. L’autre est celui de Damián Szifron que j’ai découvert en 2002 avec son premier long-métrage El Fondo del Mar, qui a fait depuis 10 ans de télé et qui revient en compétition avec Relatos Salvajes. Je ne sais pas si le film plaira, mais moi, il m’a fait hurler de rire et c’est la première fois en Argentine qu’on prend le pays pour ce qu’il est, à savoir un assemblage de monstres !

La Quinzaine présente moins de films que d’ordinaire cette année…

Oui, c’est une volonté que j’ai depuis le début, car cela permet de mieux accompagner les films. Ce n’est donc pas parce qu’il y a moins de films, mais parce qu’on s’est acharnés à ne prendre que ceux qu’on voulait absolument. Cela a été très cruel pour certains qui n’étaient pas loin d’être pris, mais qu’il a fallu laisser sur la touche.

Comment faites-vous pour entretenir l’esprit de troupe dans votre équipe ?

C’est simple : ce sont des gens extrêmement sympathiques et ouverts, avec lesquels j’ai plaisir à être et à déconner. L’esprit de bande, c’est la déconne et je suis assez fort là-dessus !

Pour un mélancolique, vous ne vous en tirez pas trop mal !

L’humour ayant des accointances avec le désespoir, la mélancolie peut avoir des accointances avec la déconne !