La niña de fuego : raison(s) et sentiments

Rencontre avec Carlos Vermut, réalisateur

Il est le grand gagnant des Goya 2015, l’équivalent espagnol des César. La niña de fuego, film aussi vénéneux que son personnage principal de femme prise au cœur d’un duo de maîtres-chanteurs, joue la carte des mensonges et tromperies entre amis. Rencontre avec Carlos Vermut, réalisateur très intuitif.

La niña de fuego est un film qui s’amuse des variations entre le bien et le mal…

Le thème principal du film, pour moi, c’est cette lutte entre l’émotion, les désirs qu’on peut avoir, et la raison qu’on essaye de maintenir malgré ces envies.

La question est aussi de savoir ce qu’un père peut faire pour sa fille, jusqu’où on peut aller pour sauver les apparences ?

La trame de l’intrigue, c’est effectivement celle d’un père qui a besoin d’argent pour sa fille, une question matérielle. Mais en second plan, il y a cette recherche consistant à accomplir les désirs de tous ces personnages qui, par conséquent, se retrouvent ennemis. Et en dernier plan, souterrain, il y a ce message de la lutte entre l’émotion et la raison. Mais je n’aime pas trop analyser mes propres films et la manière dont je travaille, parce que je procède beaucoup par intuition. Si on y réfléchit trop, ça rend le film trop froid, presque clinique, calculé. Alors que j’aime travailler sur des films émotionnels.

Le film est construit en puzzle. Mais qui était le premier personnage à apparaître ?

L’idée principale, c’était cette femme qui subissait un chantage, qui demandait de l’aide à quelqu’un et cette même personne la faisait chanter à son tour : c’était le personnage de Barbara. Mais pour exprimer toute cette chaîne de chantage, il fallait que je travaille sur les maîtres-chanteurs et leurs motivations. Je ne voulais pas faire le film-type avec l’ennemi, le méchant caricatural, je voulais qu’on essaye de comprendre les motivations de cet homme-là, pas pour le justifier, mais au moins pour le comprendre. Et surtout, je voulais travailler sur les limites de la morale, savoir comment quelqu’un qui est bon peut arriver à faire des choses terribles pour de bonnes raisons, selon lui en tout cas.

Vous travaillez à l’intuition à l’écriture, et pendant le tournage ?

En fait, c’est durant tout le processus que l’intuition règne, même au moment de l’affiche. C’est ancré dans mon processus créatif. Il faut arriver à s’extraire du travail, et se demander si cela fonctionne. Ce que je ne veux pas faire, c’est me demander pourquoi cela fonctionne. Durant tout le processus de création, l’intuition est essentielle. Quand je vois le montage et que je sens en tant que spectateur que je suis en train de m’ennuyer, même si le plan est magnifique, il faut que je coupe ! Et c’est bien là, en tant que réalisateur, qu’on a quelque chose à jouer. C’est ce qui fait la marque du réalisateur, son instinct. C’est inné, en quelque sorte ; s’il y avait une méthode pour y arriver, tout le monde serait réalisateur !

Il y a deux profs dans le film. Pourquoi ? Est-ce une vengeance ?

J’ai très vite commencé à me poser la question de la relation professeur-élève, entre Barbara et son maître-chanteur, qui ajoutait un niveau de plus à l’histoire. Ensuite, l’autre maître-chanteur est devenu prof aussi. Et j’aimais pouvoir les mettre face à face : un professeur de mathématiques et un professeur de littérature. Il y avait une dualité humaine à les voir côte à côte. La science et l’émotion. Du coup, cette utilité narrative autour de ces personnages prenait du sens pour l’histoire même. Moi, j’ai eu de la chance, j’ai toujours eu de très bons professeurs.

Barbara est-elle folle ?

En fait, la question qu’on peut se poser, c’est comment la société définit quelqu’un de fou, et si on doit accepter cette définition. Pour moi, Barbara n’est pas folle, mais nous ne sommes pas habitués à accepter ce genre de comportement chez quelqu’un. Ce qu’on comprend vite d’elle, c’est qu’elle a besoin d’être protégée. Elle a sûrement une tendance sexuelle déterminée, une attraction pour l’autodestruction. Mais est-ce qu’on ne devrait pas respecter aussi des personnes comme elle, qui construisent leur destin d’une autre manière que celle que la société nous impose ?

Ce film a quelque chose du conte, voire du mythe...

Je ne sais pas si c’était présent dès le départ, cette idée du conte, mais en effet, la structure et l’esthétique sont fortement inspirées du conte infantile. Il y a plusieurs éléments, comme le vêtement de princesse, le sceptre, Barbara qui pourrait être la marâtre, et la façon dont elle est habillée rappelle les méchantes de Disney. Mais il y a le fond aussi, avec ces portes fermées, les symboles, les chaussures rouges comme dans Le Magicien d’Oz. Je voulais surtout avoir un contraste entre cela et l’ambiance réelle du film, pas faire un Amélie Poulain !

(ALERTE SPOILER)
Est-ce pour cela que l’innocence est tuée à la fin ?

La fin était fermée pour moi avec cette idée de l’intrigue : le personnage possède enfin de quoi faire chanter Barbara. Mais il y a aussi cette idée du sacrifice de la vierge, de l’innocence. C’est le personnage de Damian qui, pour posséder Barbara comme il le souhaite, sacrifie la jeune fille. Il fallait que ce soit là, cette idée de sacrifice est importante.

La morale du film est donc qu’il ne faut pas faire confiance aux femmes !

Je pense que le film a des aspects de conte, mais ce n’en est pas un : il n’y a pas de morale ! Je préfère poser les questions qu’y répondre. Je n’ai pas les réponses, de toute façon.

Comment va le cinéma espagnol aujourd’hui ?

L’Espagne a toujours été en crise au niveau de la culture, parce que la production culturelle n’est pas respectée chez nous comme elle peut l’être en France. Et comme le cinéma est très coûteux, il a encore plus de difficultés. En ce moment pourtant, avec un pays en crise comme jamais, il y a beaucoup de propositions qui apparaissent, de façon plus ou moins underground, qui peuvent être la première pierre pour reconstruire quelque chose qui soit intéressant socialement et culturellement. C’est peut être un changement en cours, pour mieux apprécier la culture et sa valeur. Je l’espère en tout cas.