Troppa Grazia

Voir la vierge

C’est l’histoire d’une femme poursuivie par la Madone. C’est une fable des temps modernes. Avec la magnétique Alba Rohrwacher.

Présenté en clôture de la Quinzaine des Réalisateurs cannoise en mai dernier, voici venu le nouvel opus de Gianni Zanasi. Sont sortis en France ses précédents Dans la mêlée et Ciao Stefano. Toujours au centre, l’individu qui lutte pour ne pas se faire engloutir par le rouleau-compresseur du quotidien, de la pression sociale, du miroir aux alouettes de la réussite. Ici, c’est la solaire Lucia, qui fait tout pour tenir la barre. Son couple éclate (génial Elio Germano). Sa fille ado pète un câble. Son boulot la travaille côté éthique. La corruption gangrène. Cerise sur le gâteau, la Vierge lui apparaît. Et bientôt à tout bout de champ. Et pas seulement dans les champs où elle œuvre comme géomètre !

« Trop de grâce », vraiment ? Lucia n’en peut plus de cette Madone qui lui colle aux basques. Missionnée pour intervenir en sa faveur auprès des humains, l’héroïne malgré elle devient schizo. Le film pose la question de la croyance, en soi, dans le collectif. Il parle de la résistance. Jusqu’où l’être humain peut-il tenir ? Pour garder sa place, son salaire, sa tranquillité, et son âme en paix. Un peu de spiritualité dans la course au mercantile. De ses tiraillements incessants sur lequel est bâti le scénario, l’œuvre tire sa fantaisie, son étrangeté aussi. Zanasi tricote une intrigue savoureuse où l’irrévérence mène la barque. Et où l’esprit sain ne l’est jamais complètement. Et tant mieux.

Au centre de la toile, une actrice. Alba Rohrwacher. Sa singularité la détache des canons classiques de l’actrice italienne. Ses origines mi-allemandes mi-transalpines lui ont permis de se construire une place unique. La fine expressivité de son visage, son investissement dans le rôle de Lucia, comme dans tous ceux qu’elle incarne depuis quinze ans, chez Bellocchio, Guadagnino, Costanzo, Desplechin ou chez sa sœur Alice, en font une soliste hors pair. Elle vibre, refuse, gesticule, éructe et porte l’aventure avec son immense grâce à elle, à la lumière du brillant directeur de la photographie Vladan Radovic.