Milla

Douce enquête sur la violence

Un couple, une disparition, un autre couple… Pour son deuxième film, la réalisatrice de Nana filme des corps et des âmes, des plaies et des bosses, des heurts et du bonheur.

Écran noir. Des chants d’oiseaux peu à peu envahissent l’espace sonore. La nature est là dans tous ses bruissements. Deux corps enlacés, vus à travers le parebrise d’une voiture, sur lequel se reflète aussi une forêt. La buée, la pâleur du torse nu de l’homme, le rouge d’une couverture. Elle se réveille et rit, remue, chahute, le houspille, il s’agace gentiment, elle rit encore. Au plan suivant, assis sur les racines opulentes d’un arbre, alors que l’eau d’une rivière chantonne non loin de là, ils mangent des sandwichs. Puis, la voiture file sur une route du Cotentin. Bleu du ciel, vert des champs, et la mer à l’horizon… Tout est dit, déjà, d’un amour vrai mais sans doute ombragé de nuages, d’une précarité assumée puisque la nature leur sert d’écrin, d’une jeunesse marginale mais dans la vie.

Après Nana, en 2011, premier long métrage déchirant qui suivait les pas d’une gamine de 4 ans, seule avec le corps de sa mère morte, la réalisatrice reprend les thèmes de la perte et de la résilience pour cette « histoire d’amour et de solitudes en trois mouvements ». Casting sauvage du côté de Cherbourg, pour trouver l’interprète idéale à l’incarnation de Milla, une très jeune femme de 17 ans qui vit dans des squatts avec son compagnon Léo, travaille comme femme de ménage dans un hôtel, puis met au monde et élève seule leur enfant… Idéale, Séverine Jonkeere l’est. Elle a vécu une histoire similaire, et son fils dans la vie est son fils à l’écran. Mais au-delà de cet écho entre fiction et réalité, il y a le mystère de la présence. Yeux clairs, tignasse platine, peau blanche, Séverine Jonkeere petite bonne femme tout en rondeurs douces et en éclats vifs est une évidence de chaque instant. Luc Chessel, corps dégingandé et longue tignasse est parfait en Léo, à la fois pilier et absence.

Milla de Valérie Massadian

Ils s’aiment comme on s’aime à leur âge, pour leurs ressemblances et leurs différences, elle rieuse, désinvolte et profondément humaine, lui plus cérébral et fermé. Elle danse, ils se chamaillent, il lit, ils se chicanent. Et puis Léo prend la mer, il pêche et disparaît quelques jours, Milla reste seule et son ventre s’arrondit, Léo revient. Ou bien est-ce un songe ? Le vide emplit l’espace, la tristesse aussi. Léo n’est plus là, Léo n’est plus. Le deuxième mouvement montre une femme debout, faisant des ménages et rencontrant une collègue plus âgée (interprété par la réalisatrice elle-même) dans un hôtel où jamais on ne voit un client. Juste ces deux solitudes à l’œuvre qui peu à peu se rapprochent. Deux corps que nul n’enlace ni n’embrasse, deux corps à deux âges de leur vie, deux corps au travail, passant l’aspirateur, chassant les poussières, repassant ou pliant des vêtements. Cette partie est la plus politique, la plus âpre aussi, après la liberté et l’amour, le deuil et la contrainte sociale. Puis vient la résilience, à travers un petit bonhomme sorti du ventre de Milla, il s’appelle Ethan, on le voit manger avec sa mère, écouter des histoires, refuser ses blagues… «T’es pas joueur », lui dit-elle, et l’on sent qu’elle aurait pu, de la même façon, dans la scène de la couverture ou des pièces de monnaie, dire cette phrase à Léo… Car Milla est une enfant de 17 ans que la mort et la solitude a embarqué dans une autre vie que la sienne, mais que la maternité réconcilie avec un avenir possible…

Chaque plan, fixe et apparemment naturaliste, remarquablement cadré sans être esthétisant, sonne juste. Du papier peint beigeasse aux piles de livres, du bleu des murs de l’hôtel aux jouets d’enfant jonchant le sol, les décors, minimalistes comme le récit dit une vie, cette vie-là, qui ressemble à beaucoup d’autres, qui n’est ni spectaculaire ni particulière, mais qui est LA vie. Avec ses montagnes russes. Et l’émotion qui naît de ces hauts et de ces bas, de cette vérité-là, simple et inouïe, nous poursuit longtemps.