L'Amant d'un Jour

Père et fille

Un amour filial bouleversant et une rencontre amoureuse vibrante nourrissent ce récit à trois – et troisième volet d’une trilogie –, incarné par la fille du cinéaste et deux nouveaux venus dans son univers. C’est fort. C’est intime et c’est universel. C’est le nouveau Philippe Garrel.

Les visages, les cheveux, les peaux, les corps, les regards, les souffles, les voix. Philippe Garrel célèbre l’humain dans ses moindres recoins, dans ses moindres frémissements. Ceux de l’âme et du cœur. Un défrichage existentiel total, que son œuvre entière expose avec un brio sans cesse renouvelé. Dans le murmure, dans la discrétion, dans l’intensité. Pour la troisième fois consécutive après La Jalousie et L’Ombre des femmes, en 2013 et 2015, il livre un long-métrage d’une heure et quart, tourné en vingt-et-un jours, en format Scope et en noir et blanc, mis en musique par Jean-Louis Aubert, et écrit à quatre, deux hommes et deux femmes, toujours Arlette Langmann et Caroline Deruas, compagne du réalisateur, et Jean-Claude Carrière pour la seconde fois d’affilée.

Une charte esthétique où l’émotion souffle. Car le lien filial est là, prégnant, presque palpable par le spectateur, qui voit Esther Garrel, fille « vingtenaire » de Philippe, amener l’énergie juvénile au film, comme son frère Louis portait le premier acte du triptyque, La Jalousie. La femme est au centre de la planète Garrel. Aimante, désirante, ardente, elle fait avancer le récit, bouleverse les habitudes, et secoue l’homme. Belle idée de construire un scénario sur un père cinquantenaire dont le train-train de vie de prof de philo parisien est réveillé par l’irruption d’une étudiante soudain dingue de lui, et de sa fille à lui, larguée par son mec. Toutes deux ont vingt-trois ans, et tous trois vont cohabiter. Mais les choses ne sont jamais simples. Nouveauté, rivalité, (in)fidélité, tout est en jeu. Un jeu non dénué d’humour, car les répliques concrètes et franches révèlent parfois avec une audace savoureuse la vérité des actes.

Un jeu auquel Renato Berta apporte à nouveau son regard précis, dense et amoureux à l’image, avec son noir et blanc épais, charbonneux, dont les nuances portent l’énergie, l’émotion, la fatigue aussi. Cinquante ans après Marie pour mémoire, Garrel filme toujours au présent. Celui du sentiment dans l’actualité de ses personnages. Celui de la jeunesse de ses deux actrices, qui évoquent les précédentes, Aurélia Alcaïs, Julia Faure, Clémentine Poidatz ou Lena Paugam. Louise Chevillotte campe avec aplomb l’amour déterminé. Esther Garrel investit vaillamment l’affect en question et la mauvaise foi aveuglée. Eric Caravaca porte, dans la bienveillance parfois naïve, la masculinité vivace. Une légèreté bienfaitrice se dégage de cet opus qui plonge pourtant dans les tourments de l’amour. Comme chez Marivaux, il y a des surprises. Ici, celle d’un père ému par sa fille, devenue femme.