La Prière

Au plus haut des cieux

Se relever et s’élever : Cédric Kahn sauve un jeune toxicomane de l’effondrement dans un film vibrant et vital qui révèle un jeune acteur étonnant, salué à la Berlinale 2018 par un prix d’interprétation.

Du corps, Cédric Kahn passe à l’âme. De l’un à l’autre, un long chemin aura été emprunté, de croix dirait-on, tant il est jalonné de souffrances. La Prière commence par un corps éprouvé, un corps qui a mal, qui convulse, qui s’épuise. C’est le corps en manque d’un jeune toxicomane tout juste sorti d’une overdose. Comment ce corps à bout deviendra un corps debout, réconcilié, vaillant, qui se remet en marche et chemin faisant, comblera le vide par la plénitude de l’âme, son élévation spirituelle ? Telle est toute la trajectoire scénaristique de ce film de renaissance, de salut et de résilience. Le miracle d’une transsubstantiation va s’opérer.

Le chemin pour se retrouver, se réconcilier avec soi-même et les autres, pour renaître à soi, n’est évidemment pas tranquille : on ne revient pas si facilement des paradis les plus artificiels, il faut se faire violence pour échapper à l’addiction. Quand le jeune héros de La Prière arrive dans le monde qui va le sauver, un centre de désintoxication perdu dans une montagne rude, une maison où l’on vit dans le plus grand dénuement, dans une ascèse monacale rythmée par le travail, les chants et les prières, il n’est que rage et colère. Vivent ici d’anciens toxicomanes déjà sortis d’affaire, en lesquels il ne reconnaît pas des frères de souffrance, malgré leur bienveillance et patience. Le corps en manque, le jeune homme explose et rejette violemment ce miroir qui lui est tendu, d’identité et d’altérité.

Au centre du film, de sa gravité, de tous les plans de son récit empathique, le jeune et formidable Anthony Bajon. Avec sa moue de gosse buté, la rondeur encore enfantine de son visage, son regard fermé, il est ce jeune homme au bord des gouffres. Il s’appelle Thomas, prénom de saint homme, incrédule. Anthony Bajon occupe immédiatement l’espace du drame. Comme il parle peu, il l’investit de sa présence forte, d’une physicalité extrême, bloc de fureur et de désespérance, dressant face aux autres le mur de sa profonde et effroyable solitude. Il y a quelque chose de la folie du Lenz de la nouvelle de Georg Büchner, la quête et la folie d’un poète dans les Vosges.

Le corps peu à peu s’oublie, se libère de sa dépendance aux substances toxiques, et l’âme entre en scène, résiliente. C’est la prière qui sort le jeune homme de son enfer et de son enfermement, Dieu peut-être, en tout cas la révélation de la possibilité d’élever son âme, de croire au ciel et de croire en quelque chose qui nous dépasse. La foi ici célébrée, par Cédric Kahn, est pourtant moins une ferveur religieuse, qu’une croyance en l’homme. Y croire, c’est croire en soi, c’est croire en la lumière et surtout, en l’amour.