Gauguin – Voyage de Tahiti


La toile sauvage

Edouard Deluc se révèle sous un nouveau jour avec ce biopic atypique qui redynamise le genre. Un portrait atmosphérique de Paul Gauguin, durant ses dix-huit mois en Polynésie. Une balade magnétique, sauvage, poétique. Vincent Cassel dans son plus beau rôle.

Comment capter l’essence d’une figure historique ? Comment détourner la narration linéaire et illustrative d’un biopic classique ? Comment adapter librement pour mieux raconter ? Réponse avec le deuxième long-métrage d’Edouard Deluc. Décidément attiré par l’ailleurs, il délaisse l’Argentine de Donde esta Kim Basinger ? et Voyage à Mendoza, pour rejoindre la Polynésie, grâce à sa revisite de l’ouvrage de Gauguin Noa Noa, que l’artiste écrivit en 1893, à son retour de ses dix-huit mois à Tahiti. L’ex-étudiant aux Beaux-arts qu’est le réalisateur a enfin trouvé le temps, l’espace et la matière de concrétiser son rêve ancien d’en faire un film. Bien lui en a pris, car son regard livre une passionnante épopée sensorielle.

Gauguin est un maître, un génie, un précurseur. Ok. Mais en 1891, il est surtout fauché, déprimé, coincé en France, et en panne d’inspiration. Il décide de traverser la planète et de tout affronter, juste pour retrouver le goût de tout. Sans peur de laisser tout ce(ux) qu’il connaît, et même femme et enfants. Cavalier solitaire, il s’enfonce dans la jungle tahitienne, fuyant même la ville insulaire. Et c’est là qu’il trouve du charbon pour faire bouillir ses neurones et ses sens. La jeune Téhura met le feu à ses poudres et devient sa muse. Gauguin repeint. Enfin. Mais se perd aussi dans sa non-inclusion dans l’île et ses hommes. Il est là, mais sans cesse remis à sa place de non-autochtone intéressé.

Asséché physiquement, Vincent Cassel est incandescent. Il est un Paul Gauguin impulsif, rustre, amoureux. Toujours sur le qui-vive, mais en constante ébullition. Il fuit la performance habile et millimétrée. Son corps est juste au service d’un autre. Et la solution chimique a lieu, face à la fascinante Tuheï Adams, ado hallucinante d’incarnation de la certitude et de l’assomption. Il y a aussi de la place pour le spectateur dans cette balade hédoniste. Sa construction par tableaux atmosphériques successifs, qui saisissent les états du peintre au gré de son avancée en terre inconnue, envoûte. Un charme finement élaboré par le cinéaste, son chef opérateur Pierre Cottereau, sa décoratrice Emmanuelle Cuillery et son compositeur Warren Ellis.