Gabriel et la montagne


Le réveil de l’idéaliste

Fellipe Barbosa transcende les diktats en choisissant la fiction, qu’il nourrit d’une passionnante reconstitution documentaire, pour rendre hommage à son ami disparu Gabriel Buchmann. Sur l’écran au format Scope, le jeune homme revit et refait son ultime voyage. Bouleversant.

Puissant geste que de retracer les dernières semaines d’un ami disparu. C’est ce à quoi Fellipe Barbosa s’est consacré pour son second film, primé en mai à la Semaine de la Critique à Cannes. Pour se rendre finalement compte que son premier opus se termine là où son second démarre. Troublant. Mais pas surprenant. Un réalisateur creuse un sillon. Casa Grande prenait fin sur la prise de liberté d’un fils de famille bourgeoise carioca. Gabriel e a montanha filme le voyage sabbatique d’un jeune nanti brésilien, avant son intégration dans une université des États-Unis. Bouleversante intention d’un cinéaste également, qui choisit la fiction au documentaire, pour faire revivre son ami, et ne pas se réduire à un reportage qui figerait Gabriel dans la mort.

Ainsi, le premier plan de l’aventure est nourri d’une incroyable force. Esthétique, car le mouvement panoramique sur les herbes, que coupent régulièrement et majestueusement deux Malawites sur un flanc de montagne, subjugue. Émotionnelle, car la scène s’achève sur le corps de Gabriel, caché dans une niche et endormi pour toujours. Au plan suivant, le jeune homme est bien vivant. Le flash-back a la vertu de la résurrection. Le cinéma comme baume magique. L’homme-orchestre Barbosa s’avère un savant doseur de réalisme dans sa recréation des véridiques derniers temps de son copain, devenu héros de son récit. Hormis Gabriel et sa copine Cristina, campés par des acteurs pros, tous les personnages croisés par le premier durant son périple sont rejoués ici par les véritables personnes qu’il rencontra durant ces moments reconstitués.

Processus qui unit finalement sur l’écran la fiction et le documentaire, et qui permet à Barbosa de transcender les diktats. Les trajets sur les routes est-africaines, l’ascension des monts, jusqu’au massif Mulanje au Malawi, le cinéaste les a faits lui aussi avec son équipe réduite. Un travail doublé d’un pèlerinage. Vers la lumière de la création, vers l’apaisement. Gabriel est un personnage ambivalent, dont les contradictions interrogent et singularisent encore plus le film. Son idéalisme et sa candeur arrogante de globe-trotter sont en définitive dénués de calcul. Gabriel explore, découvre, partage. Fellipe lui offre le format Scope comme aire de jeu. Inestimable preuve d’amitié.