Don’t Worry, He Won’t Get Far On Foot

Roue libre

John Callahan, alcoolique, cynique, tétraplégique, a fini par sortir de son trou noir, pour pratiquer l’humour de la même couleur. Retour à Portland pour Van Sant qui signe un film modeste et magnifique.

C’est l’histoire vraie d’un homme qui n’espérait rien et a été bien attrapé. John Callahan (1951-2010), vécut 59 années d’une vie qu’il tenta de détruire par tous les moyens : alcoolique à 12 ans, tétraplégique à 21 suite à un accident de voiture, il n’a abandonné la bouteille que tardivement et, forçant ses doigts morts, s’est mis à dessiner des « cartoons » au trait tremblé, aux sujets tabou et à l’humour plus noir que noir. Le titre de sa biographie et de ce film, qui en est l’adaptation quelque peu romancée, vient d’un de ces dessins, où avisant un fauteuil roulant vide, un shérif déclare à deux autres hommes à cheval, dans le désert : « Ne vous inquiétez pas, il n’ira pas bien loin à pied ! ».

Mélangeant la chronologie et plusieurs niveaux de prise de paroles (John aux alcooliques anonymes, dans la maison de son mentor, montant sur scène pour recevoir un hommage…), le film cherche des formes. Empilages d’images et montage chahuté. Mais c’est dans sa simplicité et sa modestie qu’il rend le plus vibrant hommage à cette histoire simplissime de « maverick », comme on dit en anglais, c’est-à-dire « animal échappé du troupeau », ce qui est parfaitement (et génialement) illustré par le cartoon et le titre « Don’t worry, he won’t get far on foot ».

Don’t Worry, He Won’t Get Far On Foot de Gus Van Sant. Copyright Metropolitan FilmExport.

Alors qu’il roule à toute vitesse dans les rues de Portland sur son fauteuil roulant, un trottoir stoppe net la course folle de John, le fauteuil bascule et son grand corps tout mou s’étale sur le bitume. Choquante, violente, la scène est également hilarante, d’autant qu’un groupe d’enfants en skate board vient aider John avec force exclamations et commentaires sur la spectaculaire cascade à laquelle ils viennent d’assister ! Montée deux fois dans le film, cette scène est aussi le détonateur pour un changement de cap… Comme les anti héros de Drugstore Cowboys, My Own Private Idaho, Gerry, ou Paranoid Park, comme même le héros qu’est Harvey Milk, le personnage scruté dans ce dix-septième long-métrage va son chemin semé d’embûches, tombe et, alors qu’il aurait dû rester à terre, se relève. À sa façon, bien sûr…

Joaquin Phoenix est d’une sobriété retrouvée dans ce personnage haut en couleur, bien entouré par les seconds rôles tenus par des comédiens inattendus dans l’univers de Gus Van Sant : Jack Black et surtout Jonah Hill, absolument extraordinaire en mentor antialcoolique homosexuel, attentif et pas dupe.

Toujours drôle, jamais apitoyé, ce portrait recèle pourtant bien des émotions, car il raconte la souffrance, l’impossibilité à trouver sa place, la fuite en avant, le besoin viscéral de s’anesthésier, et malgré tout l’aiguillon tenace de la vie qui passe : le sourire d’une bénévole à l’hôpital, la danse débridée d’un thérapeute en short, et un crayon qui trace en tremblant des dessins furieusement ironiques.