Chien

L’ombre de ton ombre

Un homme gentil devient chien méchant avant de retrouver la place qui lui sied. Cette fable tragi-comique est adaptée par Benchetrit de son propre roman. Pour un résultat plus que singulier.

Au premier plan, un pavillon tout blanc, un homme avec un drôle de regard, tourné vers le haut. Une voix lui parle, le ramène — et nous avec lui — à la réalité. Sa femme se gratte et a trouvé la cause de ces démangeaisons : lui, son mari. D’ailleurs, sa maladie porte son nom, « une blanchoïte ». Jacques Blanchot, sans broncher, quitte donc le domicile conjugal.

Parce que son fils voulait un chien, Jacques se rend dans une animalerie et se fait refourguer un clébard « qui ressemble à Hitler », avec le panier, les croquettes, la laisse, et aussi les vingt leçons de dressage. L’animal ne fera pas long feu, et bientôt, imperceptiblement, cet homme doux sur qui tout glisse se laisse assujettir, maltraiter, dominer…

Il y a des hauts et des bas dans la filmographie de Samuel Benchetrit, qui, de Janis et John à Asphalte en passant par J’ai toujours rêvé d’être un gangster, cherche des formes à ses récits. Chien est assurément son film le plus original et abouti, une sorte de cri désespéré sur nos vies déshumanisées, un portrait d’homme triste en chien prostré porté par Bouli Lanners, en géant effrayant, et Vincent Macaigne, en être résigné aux grands yeux morfondus d’amour. À la fois parabole sur la domination — on est toujours le chien de quelqu’un — et fable sur l’amour absolu (« laisse-moi devenir l’ombre de ton ombre, l’ombre de ta main, l’ombre de ton chien », chantait Jacques Brel), Chien se perd un peu en route dans une violence aussi inattendue que dérangeante, mais retombe finalement sur ses… pattes. Il questionne nos servilités et renoncements, nous fait rire et nous brusque. Tant mieux.