Abracadabra

Plaisir d’hypnose

Auteur célébré de Torremolinos 73 et Blancanieves, Pablo Berger s’amuse avec un nouvel objet créé par ses soins. Une farce succulente qui joue de la magie dans les rues et immeubles madrilènes. Maribel Verdu et Antonio de la Torre mènent le jeu avec panache, et Abracadabra lance en beauté la nouvelle année cinéma.

Pablo Berger prend son temps. Il fignole. Trois longs-métrages en quatorze ans. Neuf ans entre les deux premiers, et cinq ans entre les deux suivants. L’écart se rétrécit. Mais le soin apporté à l’œuvre est toujours aussi visible. L’auteur de Torremolinos 73 et Blancanieves s’amuse avec un nouvel objet créé par ses soins. Une fable délicieusement décapante. Une histoire d’amour qui emprunte des chemins surprenants. Le patchwork des genres est un exercice que le cinéaste cisèle, et l’équation qui prend forme à l’écran s’apprécie avec délectation. Son scénario part d’un argument délirant. Un homme, marié, macho, homophobe, brutal, méprisant, se retrouve possédé par un esprit lorsqu’il se prête à une séance d’hypnose pour humilier le prestidigitateur amateur, cousin de sa femme. Au grand dam de Carmen, impétueuse femme qui ne comprend plus rien à son époux, devenu dès lors modèle.

Les situations sont savoureuses, chiadées sur des détails qui font mouche, comme la sortie d’un mariage privée de lancer de riz, et dont les frais tourtereaux miment pourtant l’attente de réception. Le travail sur les couleurs, de la teinte de la photographie à toute la gamme chromatique des costumes, maquillages, décors et accessoires, construit un savant décorum qui accueille le burlesque des situations et la folie contaminante. Berger est un véritable artificier du cinéma, qui sait convoquer les outils et les agencer au service de son univers. La trame narrative ose le too much et les effets appuyés. Ainsi, le personnage de maître expert en magie est un ogre drolatique, engloutissant un délirant p’tit déj’ en guise de rendez-vous professionnel. En tête de la joyeuse gondole, Maribel Verdu et Antonio de la Torre excellent à donner corps aux frustrations d’un couple au sang chaud et pourtant en total décalage de désir. Entre plaisir d’un tour de passe-passe et visite madrilène stylisée, Abracadabra pimente joliment ce début d’année cinéma.