Journal d'une femme de chambre

La fille seule

Portraitiste d’actrices, Benoît Jacquot retrouve Léa Seydoux pour sa version du roman de Mirbeau. La peinture sans fard d’un monde cruel, régi par la servitude et la brutalité. Les résonances avec aujourd’hui traversent les étoffes, et la caméra devient une loupe sur l’exploitation humaine.

Benoît Jacquot aime adapter : Dostoïevski, Henry James, James Gunn, Borges, Marivaux, Mishima, Benjamin Constant, Pascal Quignard, Gide ou Chantal Thomas. Il aime aussi filmer les actrices : Dominique Sanda, Isabelle Huppert, Judith Godrèche, Virginie Ledoyen, Sandrine Kiberlain, Isild Le Besco, Isabelle Adjani, Catherine Deneuve, Charlotte Gainsbourg ou Chiara Mastroianni. Le roman phare d’Octave Mirbeau, paru en 1900 et déjà élu par Jean Renoir (1946) et Luis Buñuel (1964), lui permet d’allier ses deux dadas. Mais aussi de partir en quête de la vérité intérieure des personnages et d’une modernité, chères à Renoir, et tapies derrière la reconstitution, le costume, l’accessoire, le décor.

Célestine est seule. Toujours seule. Son travail incessant au service des autres n’y change rien. Son dévolu qu’elle jette sur le jardinier Joseph non plus. Elle sera toujours dépendante, dans un monde qui cloisonne les êtres en fonction de leur rang, et qui « esclavagise » les femmes au bon vouloir des hommes et de la société. Alors elle retient, supporte, résiste, bouillonne, en attendant le meilleur… qui sera peut-être pire. Elle reste droite, sauf quand elle perd des êtres chers et que ses larmes débordent. Célestine est charmante et attirante, à double tranchant quand on est domestique. C’est ce qui attisait l’œil de Don Luis, qui pouvait creuser en noir et blanc ses grands axes : le fétichisme et la pulsion sexuelle.

Jacquot et sa jeune coscénariste Hélène Zimmer (réalisatrice de À 14 ans, sorti le 25 février) ont remis en avant l’exploitation humaine, la cruauté de l’asservissement, l’isolement et la xénophobie. Journal d’une femme de chambre n’est pas qu’un film à costumes soigné ou une adaptation d’œuvre clé de plus. « L’homme est un loup pour l’homme » et la femme morfle toujours, enserrée dans les gros plans et les zooms rapides. Une séquence claque, lorsque l’acariâtre Madame Lanlaire envoie Célestine trois fois de suite à l’étage chercher une aiguille, puis du fil, puis une paire de ciseaux. Jacquot n’est jamais aussi bon que lorsqu’il répète les gestes, accompagne, et suit ses héroïnes pas à pas.

En à peine dix ans, Léa Seydoux s’est rempli un sacré balluchon d’actrice chez les auteurs français (Mocky, Breillat, Bonello, Honoré, Kechiche), internationaux (Gitaï, Ruiz, Tarantino, Allen, Anderson, Lanthimos) et face à Robin des Bois, Tom Cruise et James Bond. Fille de la rue ou nantie, en jean ou corsetée, elle brille d’insolence juvénile, et nourrit ici Célestine d’une carapace opaque. Elle dit avoir retrouvé confiance avec Jacquot, après une période de doute. Face à elle, tous excellent. Clotilde Mollet en patronne experte en dressage de personnel, Hervé Pierre en frustré queutard, Dominique Reymond en placeuse d’employés, Patrick d’Assumçao en proprio jouisseur, et Vincent Lindon en partenaire taiseux et brutal.