Comme un avion

Sentir le courant

Un quinquagénaire fait l’acquisition d’un kayak et prend la clé des champs. Dans Comme un avion de Bruno Podalydès, échappée bucolique au charme fou.

On avait quitté Bruno Podalydès en 2012 avec Adieu Berthe, l’enterrement de mémé, comédie poético-funèbre où les vivants et la mort jouaient à chat autour d’une grand-mère disparue. Le réalisateur y faisait preuve d’une grande maîtrise formelle et d’une folle inventivité ; les gags et jolies trouvailles visuelles abondaient gaiement et damaient le pion à la noirceur du sujet. Trois ans plus tard, revoici le cinéaste – croisé depuis, çà et là, comme comédien (La Fille du 14 juillet, 100% Cachemire) – dans le rôle central d’un huitième long-métrage lumineux, dont il signe seul le scénario.

Soit Michel, infographiste passionné par l’aéropostale, marié (à Sandrine Kiberlain, remarquable de délicatesse et de précision), père de deux enfants, qui se découvre, un beau jour, une passion pour le kayak et part, seul, suivre le courant de la rivière. Sur son chemin, Michel fera de joyeuses rencontres, avec la propriétaire, veuve, d’une guinguette en bord de Loire (Agnès Jaoui, belle et émouvante), ses compagnons de route (Michel Vuillermoz, Jean-Noël Brouté), une amoureuse éplorée (l’espiègle Vimala Pons) ou un pêcheur bougon (Pierre Arditi). Rarement un protagoniste dessiné par Bruno Podalydès aura-t-il agi avec autant de détermination.

On se souvient des valses-hésitations de ses personnages incarnés par son frère Denis, incapables de prendre une décision sans envisager d’emblée une alternative – dans Dieu seul me voit et Adieu Berthe, notamment. Ici, c’est le cinéaste qui incarne ce protagoniste enthousiaste et donne le ton, fantaisiste et burlesque, par sa simple présence. Autre corps, autre rythme. À l’instar de Nanni Moretti, Woody Allen ou Emmanuel Mouret, il investit le champ de la caméra avec aisance et lui confère son tempo organique. Car Bruno Podalydès / Michel sait prendre le temps de regarder le paysage, les individus, les insectes ou les objets qui l’entourent avec l’attention propre aux poètes. Comme un avion trouve ainsi sa juste cadence, ni frénétique, ni strictement contemplative, guidé par d’heureuses rencontres et de cocasses face-à-face.

Il faut voir Michel apprivoiser tout un matériel d’aventurier aquatique, se débattre avec une tente récalcitrante, se mettre à danser ou se faire chauffer de l’eau avec une bouilloire miniature, accompagné du précieux et rassurant Manuel des Castors Juniors ! Dans ces séquences, l’épique, l’enfantin et le dérisoire se font la courte échelle et donnent lieu à des situations désopilantes. C’est qu’on rit beaucoup face à cette comédie traversée par le goût de la liberté. Si ce personnage de kayakiste se laisse, lui, porter par le courant, rien n’est ici laissé au hasard : les gags et actions y sont pensés, peaufinés et font mouche séquence après séquence. Les silhouettes et gestes de chacun, se découpent et trouvent leur relief dans une image composée à base de couleurs complémentaires, qui confère à l’ensemble une vigoureuse tonalité. On ressort ainsi souriant et heureux de cette comédie intelligente, où la joie de vivre et d’être ensemble se raconte, avec pudeur, entre les images et les mots. Quant à la séquence finale, qui voit Michel pénétrer innocemment dans le jardin privé d’une femme plus mystérieuse que celles qui l’ont précédée à l’image, elle fait planer sur cette aventure en eau vive le souffle léger du vertige psychanalytique et le parfum des énigmes non résolues.